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"Quartier juif", la série égyptienne où les juifs ne sont pas "les méchants"

Parmi les séries diffusées sur les chaînes arabes durant le Ramadan, un feuilleton égyptien fait parler de lui : "Haret el-Yahoud", "Quartier juif". Il dépeint les juifs égyptiens dans les années 1950, et pour une fois, ce ne sont pas "les méchants".

Mois sacré pour les musulmans, fait de piété et de recueillement, le Ramadan n’en est pas moins synonyme de feuilletons télévisés dans le monde arabe. En effet, nombreux sont les arabes à travers le monde, musulmans ou non d’ailleurs, qui attendent avec impatience le début du mois de jeûne et son foisonnement de production télévisuelles.

Il y en a pour tous les goûts et, cette saison, la production égyptienne "Haret el-Yahoud", "Quartier juif", était particulièrement attendue. Pour cause, elle met en scène des juifs qui, fait inédit dans une production audiovisuelle arabe, ne sont pas les "méchants" de l’histoire.

Fait pour le moins intéressant dans l’Égypte dirigée par le général Al-Sissi, qui a chassé du pouvoir avec fracas le président Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, ce sont la confrérie et son fondateur, Hassan al-Banna, qui endossent le mauvais rôle. Ce qui ne manque pas de susciter de nombreuses critiques chez les islamistes égyptiens. Car la série n’est pas du goût de tous : saluée très tôt par les médias israéliens, elle a essuyé nombre de critiques dans la presse arabophone.

Chrétiens, musulmans ou juifs : "Ils étaient tous Égyptiens"

Ce n’est pas la première fois que les Égyptiens - ou plus largement des arabes - dépeignent des juifs dans des fictions télévisées. Ils avaient jusque là le rôle des bourreaux, des traîtres, des ennemis et quasiment toujours de conspirateurs. Souvent, la question du conflit israélo-palestinien était au cœur des intrigues. Au contraire, dans cette série, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre depuis la diffusion du premier épisode le 18 juin dernier, ils sont traités de la même façon que les personnages d'autres confessions. On les découvre patriotes envers l’Égypte, voire même antisionistes.

Feuilleton égyptien oblige, une histoire d’amour est au cœur de l’intrigue, entre Ali, un officier musulman et Laila, une jeune fille juive, sorte de "Roméo et Juliette". La série commence avec la guerre de 1948, qui débouche sur la création de l’État d’Israël, et s’achève en 1954, en passant par la montée des nationalismes arabes et la période nassérienne. L'époque dépeinte est particulièrement intéressante dans l’histoire de la société égyptienne : juifs, chrétiens et musulmans cohabitent alors paisiblement, tandis que de l’autre côté de la frontière est crée l’État hébreu.

C’est précisément cette coexistence pacifique qu’a souhaité montrer le réalisateur Medhat el-Adl. "La série ne traite pas seulement des juifs, mais d’un quartier égyptien connu comme le quartier juif, où les musulmans, les chrétiens et les juifs ont vécu ensemble ", a-t-il ainsi déclaré au quotidien égyptien "Al-Masry Al-Youm", en février dernier. "On n’a jamais dit ‘celui-ci est un chrétien ou un musulman ou un juif’ ; ils étaient tous Égyptiens. Par conséquent, on ne devrait pas appeler les juifs autrement qu’Égyptiens".

Evolution des mentalités

Yves Gonzalez-Quijano est chercheur au sein du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo), spécialiste de l’anthropologie de la culture arabe contemporaine. La série "Haret al-Yahoud", qu’il qualifie "d’intéressante" a attiré son attention. Il y voit notamment un "phénomène marquant dans le fait que 65 ans après les faits, ont puisse aborder cette période de l’histoire de l’Égypte, en évoquant les juifs comme des Égyptiens ».

Ainsi, même s’il le juge politiquement correct, Yves Gonzalez-Quijano, estime toutefois que le feuilleton témoigne d’une évolution des mentalités : des fractions de spectateurs sont ouverts à ces idées. "Ce n’est pas vraiment la première fois que les juifs sont dépeints de manière, disons objective, par une production égyptienne", se souvient-il "mais la dernière fois, c’était un documentaire diffusé au cinéma. Le fait qu’il s’agisse là d’un feuilleton du ramadan, diffusé à la télévision, une forme et un média populaires, n’est pas anodin".

Enfin, la présence de la série, dans la multitude de productions du ramadan, met également en lumière un autre phénomène : l’élargissement de l’éventail des chaînes arabophones permet à ce genre de série d’être diffusée, ce qui n’aurait pas pu être le cas il y a encore quelques années. "Les chaînes nationales n’aurait pas pu diffuser ce genre de message et les grosses chaînes à capitaux saoudiens de type MBC ne s’y risquent pas non plus, mais ce genre de production, polémique, trouve preneur chez les nouvelles chaînes, qui cherchent justement à se démarquer".
 

La bande-annonce de Haret el-Yahoud (Quartier juif)

Tags: Ramadan, Égypte,