Mahmoud Al-Kurd a remporté le Prix des jeunes créateurs contemporains palestiniens, remis en son absence, le 12 juin à Paris. Sa série, inspirée de l’opération israélienne "Bordure protectrice", est une quête poétique au cœur de la guerre.
Dans sa robe d’un blanc virginal, l’enfant de 9 ans est figée dans un champ parsemé de fleurs rouges. Le ciel est presque aussi noir que les cheveux de la fillette que l’orage n’effraie pas. Les mains croisées sur le cœur, la tête basculée en arrière, elle attend sans sourciller, dans la lumière du soir, que la bombe lâchée par trois avions prédateurs lui tombe dessus.
La scène se passe à Gaza. Mahmoud Al-Kurd, photographe palestinien autodidacte de 22 ans, a réalisé cette image intitulée "The Last Prayer" (la dernière prière) et la série qui la complète "We Breathe Freedom" (Nous respirons la liberté) à la suite de l’opération militaire israélienne "Bordure protectrice", qui a fait plus de 2 200 morts côté palestinien en 51 jours, durant l’été 2014. "Issue des attaques violentes sur Gaza, cette série entend dire au monde notre histoire et l’injustice que l’on subit au quotidien", explique l’artiste.
'"We Breathe Freedom" lui a valu le Prix des jeunes créateurs contemporains palestiniens, dans la catégorie photographie, décerné à Paris le 12 juin. Le jury - composé du peintre français Ernest Pignon-Ernest, de la photographe palestinienne Rula Halawani et de la photographe française Joss Dray - a récompensé la "dimension poétique de son travail" et "son écriture aboutie". Si Joss Gray précise qu’il "n’était pas question de donner ce prix parce que l’auteur est de Gaza", Ernest Pignon-Ernest ne peut s’empêcher de souligner "que c'est une victoire de faire des images dans un pays que l’on a voulu effacer".
Créer à Gaza : entre résistance et résilience
Mahmoud Al-Kurd n’est pas le seul à pouvoir se prévaloir de cette "victoire". Si la guerre n’encourage pas, a priori, la création artistique, cette dernière est pourtant foisonnante sur les Territoires palestiniens et particulièrement à Gaza, une bande de terre de 360 kilomètres carrés à peine. En atteste "Palesti’[in] & out", premier festival pluridisciplinaire consacré à la jeune création contemporaine palestinienne, qui était organisé à Paris du 12 au 14 juin.
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"La scène des arts est particulièrement dynamique [à Gaza]. À l’aide d’une esthétique hétéroclite, ces jeunes artistes documentent, dénoncent, voire transgressent les réalités locales", note Marion Slitine*, doctorante en anthropologie à l’EHESS, spécialiste des arts visuels palestiniens. "La plupart des artistes passent leur vie à chercher une cause. Pour les Gazaouis, elle est toute trouvée", explique la chercheuse à France 24.
Soumis au blocus imposé par Israël depuis 2007 et à l’oppression du Hamas, ces artistes font acte de résistance, non en s'engageant dans une activité militante ni en prenant les armes, mais en refusant de se taire. "Si on peut considérer que mon travail de photographie conceptuelle, qui parle de la souffrance d’un peuple et tente d’éveiller les consciences sur la cause palestinienne, est une forme de résistance, alors je suis fière de dire que je suis un artiste résistant", explique Mahmoud Al-Kurd par e-mail à France 24.
Ils veulent imposer leur voix et donner leur vision de Gaza. Ainsi, Mahmoud Al-Kurd – qui a commencé par le photojournalisme avant de passer à la photo d’art – témoigne dans son travail des exactions commises pendant l’opération "Bordure protectrice", mais il refuse toute victimisation : "Être photographe à Gaza, c’est capturer l’espoir qui reste dans les yeux des gens. Capturer la dernière goutte de lumière sur la ligne d’horizon de la mer de Gaza", poursuit-il.
Le roi du système D
Mahmoud Al-Kurd reconnaît néanmoins que créer dans ces conditions d’enfermement reste extrêmement compliqué. Car si Gaza manque d’électricité, d’essence et même parfois de pain, les artistes manquent aussi de matériel, de lieux d’exposition et d'accès à la culture. Même l’Institut culturel français, l'un des rares lieux qui permettent aux artistes d'exposer et de trouver une aide, est ponctuellement interdit au public. Malgré cette précarité, le jeune photographe poursuit son travail avec les moyens du bord.
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Muni de son unique boîtier et de ses deux objectifs, il a pris sa petite sœur de 9 ans pour modèle pour sa série "We Breathe Freedom", commencée pendant l'opération israélienne. "Je profitais des deux heures par jour de cessez-le-feu pour faire mes prises en vue en extérieur", raconte-t-il. Ensuite, il a dû s’accommoder des coupures de courant : les habitants de Gaza ont entre six et 16 heures d’électricité par jour, distribuée quartier par quartier. "On peut faire nos prises de vue mais pour l’editing et la retouche de nos images, cela peut prendre plusieurs jours car nous dépendons d’une électricité aléatoire", explique le jeune homme.
Par ailleurs, Mahmoud Al-Kurd a réussi à contourner les restrictions de libertés en faisant le choix de l’art numérique - "particulièrement en vogue pendant le conflit 2014 sur les réseaux sociaux", d’après Marion Slitine. Très présent sur Twitter, il a ainsi pu diffuser son travail et le faire connaître à l’étranger, en dehors du seul cadre des expositions.
Artiste en résidence surveillée
Mais les libertés s’arrêtent là dans cette prison à ciel ouvert, enfermée au nord, à l’est et au sud-est par le mur tenu par les Israéliens ; à l’ouest par la mer, surveillée par des frégates ; et au sud-ouest par la frontière égyptienne quasi-constamment bouclée. Comme pour les 1,8 million d’habitants de Gaza, les artistes sont dans la quasi-impossibilité de sortir du territoire. Selon Anthony Bruno, directeur de l’Institut français de Gaza, pas un permis de sortie du territoire n’a été accordé à artiste gazaoui depuis décembre 2014. "Les autorités israéliennes m’ont dit texto qu’elles ne délivraient pas d’autorisation pour motif culturel", confie celui qui se charge de déposer les dossiers.
L'artiste n’a donc pas obtenu le sésame qui lui aurait permis d’assister au vernissage de son exposition, présentée jusqu'au 30 juin à l'Iremmo à Paris. Alors il s’est téléporté… via Skype. Une fois de plus. Si son travail a été exposé en Écosse, en Belgique, en Norvège, au Liban, en Tunisie, en Jordanie ou encore aux États-Unis et au Canada, il n’est jamais sorti de Gaza.
Il nourrit encore le vague espoir de pouvoir passer par Rafah, à la frontière égyptienne, où le point de contrôle est ouvert du 13 au 19 juin. Mais avant ces dates, le passage n'avait ouvert ses portes que huit jours depuis octobre dernier et environ 15 000 personnes sont sur la liste d'attente, selon Anthony Bruno. Les chances sont maigres pour Mahmoud Al-Kurd, qui reste philosophe et n’aspire finalement qu’à deux choses : "Comme n’importe quel Palestinien vivant à l’intérieur ou à l’extérieur de la Palestine, je rêve de paix et de liberté (…) La paix et la liberté marchent main dans la main. Je considère que partout où la liberté existe, la paix peut se laisser entrevoir."
*À lire : "Gaza : quand l’art remplace les armes", de Marion Slitine, dans la revue "Moyen-Orient" (janvier-mars 2015).
"We Breathe Freedom", de Mahmoud Al-Kurd
Du 3 au 30 juin 2015 à l'Iremmo
7, rue Basse des Carmes
75005 Paris
Tel : +33 1 43 29 05 65