L'Allemagne est mise en cause pour sa bonne santé commerciale persistante. Ce serait un problème économique plus grave pour l'Europe que la Grèce. Un économiste allemand explique pourquoi Berlin ne compte pas changer de politique.
Alors que tous les regards sont tournés vers Athènes et que la sortie de la Grèce de la zone euro reste envisagée, certains pointent du doigt une autre nation... l’Allemagne. Berlin représente un danger bien plus important pour la zone euro que la politique du gouvernement d’Alexis Tsipras, affirme le quotidien conservateur britannique “Daily Telegraph”.
La plupart des détracteurs actuels de la politique économique allemande sont loin d’être de dangereux gauchistes à la solde de Syriza, le parti du Premier ministre grec. Ben Bernanke, l’ex-patron de la Fed, a mis en garde contre le “problème allemand” à la mi-avril et le Centre pour la réforme de l’Europe, un think-tank britannique, appelle “Bruxelles à sanctionner l’Allemagne” au plus vite. Même le Fonds monétaire international (FMI) honni des Grecs s’alarme : aux yeux de la vénérable institution, “l’Allemagne a remplacé la Chine dans le rôle d’épouvantail économique”, note le “Wall Street Journal”.
L’Allemagne “exporte son chômage”
Qu’est-ce qui vaut cette volée de bois de vert au “moteur”, à la “locomotive” de l’économie européenne ? Son insolente bonne santé commerciale. Les dernières prévisions européennes, publiées mardi 5 avril, indique que la balance commerciale allemande pour 2015 devrait atteindre un record historique de 7,9 % du PIB.
L’Allemagne exporte à tout-va et importe beaucoup moins. Et alors ? C’est, après tout, le modèle qui a permis à Berlin de redevenir, dans les années 2000, la principale puissance économique européenne. Mais un trop large excédent commercial “revient à exporter son chômage”, souligne Ben Bernanke. Cette force de frappe exportatrice se fait “au détriment de la production locale des pays importateurs”, souligne Pascal de Lima, économiste en chef du cabinet EconomicCell. L’Allemagne importe peu, ce qui n’arrange pas les affaires des entreprises exportatrices de ses partenaires commerciaux.
Cette success-story du “made in Germany” pousse aussi les autres pays à chercher à “améliorer leur compétitivité, notamment en faisant pression sur les salaires, ce qui fait baisser le pouvoir d’achat, la consommation et engendre un risque déflationniste [baisse des prix] qui rend la reprise économique plus difficile en temps de crise”, souligne le Centre britannique pour la réforme de l’Europe.
“Polémique nulle et non avenue”
L’Allemagne est donc accusée de mener une politique égoïste qui lui fait économiquement du bien tout en étant négative pour les autres pays. La Grèce, par comparaison, n’est qu’une bombe économique qui exploserait vraiment si elle venait à sortir de la zone euro.
Avoir un surplus commercial trop important est donc mal perçu. Surtout s’il dure. C’est pourquoi l’Union européenne juge que ses membres ne devraient pas avoir un excédent supérieur à 6 % du PIB pendant plus de trois ans. L’Allemagne est dans cette situation depuis cinq ans. Bruxelles n’a pas encore sévi, alors que le FMI juge qu’il serait temps de rappeler Berlin à l’ordre. En théorie, l’UE peut demander à un pays de prendre des mesures pour inverser la tendance et aller jusqu’à lui imposer une amende qui équivaut à 0,1 % du PIB. “Mais il n’y a aucun automatisme et la règle laisse une grande place à l’interprétation politique de la situation économique”, souligne Stefan Kooths, économiste à l’Institut pour l’économie mondiale de Kiel.
En attendant, les critiques ne semblent pas atteindre la blanche colombe économique allemande. “La polémique autour de l’excédent commerciale est nulle et non avenue car les exportations sont toujours une bonne chose pour le pays exportateur mais aussi pour l’importateur qui peut rediriger l’investissement vers d’autres secteurs [exemple : si l’Allemagne exporte de nombreuses voitures vers la France, l’Hexagone devrait en profiter pour investir dans autre chose que l’automobile, NDLR]”, souligne Stefan Kooths. Pour lui, si l’excédent commercial heurte les autres pays, c’est que ces derniers n’ont pas su s’adapter.
En attendant le papy-boom allemand
Critiquer la persistance de l’excédent commercial serait, d’après cet économiste allemand, la preuve d’une vision à “court terme”. “Il s’agit de personnes qui refusent les changements structurels induits par le commerce international. Après tout, l’Allemagne était le numéro 1 mondial des téléviseurs dans les années 90 avec Telefunken et Gründig, deux marques qui ont quasiment disparu, ce qui a permis au pays de trouver d’autres points forts”, rappelle-t-il.
Il ne veut pas non plus entendre parler des appels du FMI, de Paris ou de Ben Bernanke à doper la consommation intérieure afin d’être moins dépendant des exportations et offrir des potentielles débouchées aux produits étrangers. “L’Allemagne est déjà en quasi-plein emploi [taux de chômage de 4,7 %] et encourager encore plus l’activité risquerait de créer une situation de surchauffe économique qui ne serait bonne pour personne”, soutien Stefan Kooths.
Surtout, il ne sert à rien de vouloir réduire l’excédent commercial qui va “de toute façon se résorber tout seul”, prédit cet expert. La faute au vieillissement de la population allemande. “Il y aura de moins en moins d’actifs dans l’appareil productif et de plus en plus de retraités qui auront les moyens de consommer”, explique-t-il. En d’autres termes, l’économie allemande exportera moins, faute de bras, mais importera davantage pour faire face à la demande intérieure. Une bonne nouvelle pour tous les pays qui ont, actuellement, du mal à s’adapter à la locomotive exportatrice allemande : il leur suffit d’attendre que tous les Allemands soient partis à la retraite.