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La Tunisie et la Syrie, sur le chemin d'un dégel diplomatique ?

Alors que les relations entre la Tunisie et la Syrie sont rompues depuis février 2012, le gouvernement tunisien a décidé de rouvrir un consulat diplomatique à Damas pour "suivre" les quelque 3 000 jihadistes tunisiens présents sur le sol syrien.

Tunis a-t-il décidé de fermer les yeux sur la répression sanglante de Bachar al-Assad en Syrie ? Plus de deux ans après la rupture de liens bilatéraux entre les deux pays – scellée par le départ, le 6 février 2012, de tous les diplomates tunisiens en poste en Syrie –, la Tunisie semble en tous cas prête à rouvrir une porte diplomatique à Damas. Jeudi 2 avril, le ministre tunisien des Affaires étrangères, Taïeb Baccouche, confiait à l'AFP en marge d'une conférence de presse son souhait de désigner un représentant consulaire sur le sol syrien.

La raison de ce retournement de veste politique : suivre les "simples" citoyens tunisiens présents sur le sol, mais surtout tenter de remédier à la dramatique hémorragie de jihadistes tunisiens partis combattre en Syrie.

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"Nous n'aurons pas d'ambassadeur là-bas, mais la Tunisie ouvrira un consulat pour y installer un chargé d'affaires, et un ambassadeur syrien est le bienvenu en Tunisie si la Syrie le souhaite […]. Nous avons pris [cette] décision […] pour suivre la situation des Tunisiens en Syrie", a déclaré à la presse Taïeb Baccouche, sans avancer de date.

Dans un entretien accordé à France 24 vendredi 3 avril, le nouveau président tunisien, Béji Caïd Essebsi [issu de l’alliance Nidaa Tounès], est revenu sur la déclaration de son ministre, indiquant qu'il n'était pas pour l'instant question d'accueillir un ambassadeur syrien et que son pays restait solidaire de la position prise conjointement avec la Ligue arabe.

Pour autant, ce que le ministre dit tout haut, ils seraient nombreux à le penser tout bas. "Pendant la campagne électorale, en décembre 2014, plusieurs cadres [du parti séculier] Nidaa Tounès [dont Taïeb Baccouche] n’avaient pas caché leur intention de rétablir un lien avec Damas", a rappelé David Thomson, ancien correspondant en Tunisie pour RFI et spécialiste des mouvements jihadistes.

En octobre 2014, une délégation de Nidaa Tounès s’était même rendue en Syrie, en pleine campagne des législatives tunisiennes. Une rencontre avait eu lieu avec le chef de cabinet des Affaires étrangères syrien, Hamed Hassan. Pour le parti tunisien, aujourd’hui au pouvoir, les deux pays ne sont pas infréquentables puisqu’ils sont confrontés au même danger : la montée du terrorisme de l’EI. Aussi, Taïeb Baccouche a-t-il reconnu jeudi que "l'intérêt de la Tunisie [ne] nécessitait [pas] de rompre les relations [avec la Syrie]". Un reproche à peine voilé à son prédécesseur Moncef Marzouki qui avait cessé tout contact avec Damas.

Un rapprochement qui serait un "mauvais calcul" ?

Le traumatisme de l’attaque du musée du Bardo ne serait donc pas le moteur premier de cette intention. L'idée d'une "réconciliation" avec la Syrie avait déjà germé dans les têtes de certains cadres au pouvoir. Et le nombre très important de jihadistes tunisiens sur le sol syrien a certainement précipité cette main tendue vers Damas. Plus de 3 000 citoyens tunisiens seraient actuellement en Syrie, le plus gros contingent étranger. L’heure est au pragmatisme et tant pis s’il faut fermer les yeux sur les exactions du régime de Damas.

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Pas sûr, pour autant, que cette réconciliation diplomatique - si elle a lieu - aide la Tunisie dans sa guerre contre les islamistes. "C’est plutôt un mauvais calcul, estime David Thomson, la Syrie a perdu beaucoup de ses capacités de renseignement. La moitié du territoire échappe aujourd’hui à son contrôle". Cette main tendue tunisienne serait pourtant une des seules options de Tunis. "La Tunisie préfère se rapprocher de Damas que de la Turquie, avec qui elle entretient des rapports tendus", ajoute-t-il. Tunis a en effet fortement irrité Ankara en l’accusant de faciliter le transit de jihadistes vers la Syrie.

Reste à savoir comment la communauté internationale accueillerait ce dégel syro-tunisienne. Peut-être pas si mal que cela. Le secrétaire d'État américain John Kerry a déclaré le 15 mars que les États-Unis devront "au final" négocier avec le président syrien Bachar al-Assad, lors d'un entretien accordé à CBS. François Hollande, en revanche, qui doit recevoir le président Essebsi mardi 7 avril en France pour une visite d’État de deux jours, n'est pas sur la même longueur d'ondes que la diplomatie américaine.

Après la visite non-officielle de quatre parlementaires français à Damas, le chef de l'État français a récemment qualifié Bachar al-Assad de "dictateur […] à l'origine d'une des plus graves guerres civiles de ces dernières années". "Remettre en selle Bachar al-Assad" serait "un cadeau scandaleux" fait aux terroristes de l'EI, a de son côté déclaré le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius le 16 mars.