envoyée spéciale à Tunis – Trois jours après l’attaque du Bardo où 21 touristes dont quatre Français ont été tués mercredi 18 mars, les expatriés français ne montrent aucun signe d’affolement à Tunis. Bien au contraire.
"Nous avons toujours vécu en paix en Tunisie et cela ne changera pas", dit doucement Suzanne, une religieuse française née il y a plus de soixante ans en Tunisie. Elle assistait, samedi 17 mars, à la messe donnée en mémoire des victimes de l’attaque terroriste au musée du Bardo, en la cathédrale de Tunis, avenue Bourguiba.
"Prions pour la Tunisie, notre terre d’accueil. Prions pour ceux qui ont commis ces attentats, pour leurs victimes et pour notre communauté afin qu’elle se fortifie", lance de sa voix teintée de notes italiennes Mgr Ilario Antoniazzi, archevêque de l’Église catholique de Tunis. Derrière l’autel imposant, les discours évoquant l’"hospitalité" des Tunisiens et la "communion" entre les communautés se succèdent.
En ce jour de deuil, l’esprit d’union est de mise dans l’auditoire, plus œcuménique que jamais. Au premier rang, les ministres tunisiens de la Culture, de la Santé, du Tourisme et l’ambassadeur de France, François Gouyette, soutiennent les familles de victimes. Derrière eux, des dizaines d’expatriés vivant à Tunis serrent les rangs. Catholiques ou non, ils sont venus signifier leur solidarité avec les familles de victimes mais aussi avec leur "terre d’accueil".
Les autorités françaises rassurantes
Rose blanche à la main, Caroline, Franco-Néerlandaise installée à Tunis depuis quinze ans, a fait fi de son athéisme pour se joindre à la commémoration religieuse. "Je ne suis pas croyante mais je voulais venir soutenir les familles de victimes et montrer que l’on peut continuer à donner une messe en plein Tunis sans crainte", témoigne cette directrice de communication.
En aucun cas, elle n’envisagerait de quitter ce pays où elle a élevé ses trois enfants, admettant néanmoins qu’elle ferait "peut-être plus attention, notamment le soir. Je n’irai pas non plus dans certaines régions, comme les zones frontalières ou le Mont Chaambi (où des attentats ont été perpétrés contre l’armée tunisienne en 2012, NDLR)".
Des zones que le ministère français des Affaires étrangères déconseille depuis longtemps aux voyageurs. Depuis l’attaque du Bardo, mercredi 18 mars, l’ambassade de France en Tunisie s’est contentée d’inviter ses ressortissants "à observer la plus grande vigilance et à éviter les lieux de rassemblement". Ni plus, ni moins. Pas de quoi affoler les quelque 30 000 Français, dont 66% de binationaux, installés en Tunisie.
Le ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, qui a fait une visite éclair à Tunis le 20 mars pour engager une collaboration sécuritaire avec la Tunisie, n’est pas plus alarmiste. Au contraire. "Il faut continuer à vivre comme avant. Et à visiter la Tunisie", a-t-il déclaré dans les jardins de la résidence de l’ambassadeur, devant un parterre de Français – chefs d’entreprise, proviseurs, médecins – installés dans la capitale.
"Vous n’avez pas quitté la France, après Charlie ! Pourquoi je partirais ?"
Ne rien changer, c’est bien l’intention de Stéphane L. Ce conseiller en organisation des entreprises est installé depuis quinze ans à Tunis avec sa femme et leurs trois enfants. Il s’est expatrié pour motifs professionnels mais également par amour pour cette terre où il a passé son enfance.
"Le Bardo, j’y étais la semaine précédant l’attentat pour voir une exposition de peinture avec ma femme. Cela faisait partie de nos sorties culturelles. On aurait même pu y être mercredi avec nos enfants. Mais cela ne me ferait pas partir pour autant. Je me sens tout aussi en sécurité à Tunis qu’à Paris", explique-t-il.
La tuerie de Charlie Hebdo revient systématiquement dans la bouche des expatriés interrogés. De même que les attentats de Madrid, Londres, Copenhague ou Marrakech. "Il y a des attentats partout. Vous n’avez pas quitté la France, vous, après l’attaque de Charlie ! Pourquoi je partirais ?! ", insiste Stéphane L., qui concède cependant que le contexte régional n’est pas le même.
"La Tunisie a le désavantage d’être entourée de pays instables, comme l’Algérie, voire chaotiques, comme la Libye. Avec une armée de terre d’environ 27 000 hommes, ce n’est pas énorme, mais je suis sûr que le gouvernement actuel saura répondre à la menace", ajoute-t-il, confiant.
Inquiétudes autour de l’impact économique
La principale inquiétude de ce cadre français concerne l’impact économique des attaques sur les investissements extérieurs. Deux expatriés français, en mission courte en Tunisie, ont d’ailleurs refusé de répondre à nos questions pour éviter "d’envoyer un message négatif à leurs partenaires étrangers".
Nicolas R., en Tunisie pendant six mois pour un stage de comptabilité, reste optimiste. "Vous avez vu tout ce qui sort de terre au Lac de Tunis (un quartier de Tunis, ndlr) ? Ce n’est pas une attaque qui va remettre en cause la dynamique entrepreneuriale", estime-t-il, tout en admettant qu’un "deuxième attentat serait plus difficile à digérer pour ses affaires".
Son stage vient de s’achever et il rentre chez lui en France, pour reprendre ses études. Mais il doit revenir dans un mois et pourrait envisager de s'installer dans la capitale tunisienne. "C’est chouette la Tunisie, beaucoup moins stressant que Paris ! J’ai une maison confortable, des amis. Il m'est arrivé, à l'occasion, de sortir tard le soir dans les quartiers populaires, et il ne m’est jamais rien arrivé", assure ce jeune homme de 24 ans, plein de vie et d’envie. Et d’ajouter dans un sourire : "On ne va pas s’arrêter de vivre à cause d’un acte isolé. En plus, les filles d’ici sont si jolies…"