logo

Nucléaire iranien : comment Netanyahou se fait l’avocat des pays arabes

Avis aux amateurs de paradoxe : en défiant, mardi au Congrès américain, Obama et son projet d’accord avec l’Iran, Benjamin Netanyahou s’est fait l’avocat des pays arabes sunnites.

C’est le comble du paradoxe : en dénonçant, mardi 3 mars à Washington, devant le Congrès américain, un éventuel accord international sur le nucléaire iranien (dont on ne sait encore rien), Benjamin Netanyahou s’est bel et bien fait le porte-parole… des pays arabes.

Si le Premier ministre israélien se montre depuis 2009 comme le détracteur le plus intransigeant et le plus tonitruant de tout compromis qui permettrait à Téhéran de poursuivre - même sous conditions - son programme d’enrichissement d’uranium, les pays les plus préoccupés par cette perspective sont en effet les pays arabes sunnites.

Du Caire à Riyad en passant par tous les émirats du Golfe, on frémit à la pensée que l’Iran puisse un jour franchir le seuil qui le sépare du club très fermé des puissances nucléaires. Il s’agirait, dans le contexte actuel de la guerre ouverte entre les deux grands courants de l'islam, chiite et sunnite, d’un événement aux conséquences incalculables qui bouleverserait en profondeur les équilibres stratégiques du Proche-Orient.

Netanyahou prend un gros risque

Et pourtant, aucun leader arabe n’ose défier ouvertement l’allié (et bailleur) américain comme le fait le téméraire Netanyahou. Il prend d’ailleurs un très gros risque avec ce défi, dont on ne sait ce qui l’emporte de ses convictions ou du calcul politique. Susan Rice, conseillère à la sécurité nationale des États-Unis, a par exemple qualifié d'"inacceptable et destructrice" cette manœuvre de contournement de la Maison Blanche, qui lui est hostile, pour s’adresser directement au Congrès.

Dans son pays, le Premier ministre israélien est l’objet de nombreuses critiques dans la presse et les élites qui lui reprochent, à l’instar de l’ancien patron du Mossad Meïr Dagan, de "causer un tort terrible à la relation stratégique" entre Jérusalem et Washington et d’affaiblir les intérêts du pays. Mais Netanyahou espère surtout que dans deux semaines exactement, les électeurs - qui pour les trois quarts ont une opinion négative d’Obama - lui en sauront gré dans l’isoloir.

Toutefois, si les dirigeants arabes restent silencieux (tout comme le sont d’ailleurs des pays européens, France comprise) face à la perspective de cet accord que pousse furieusement l’administration Obama, quelques plumes commencent à se délier dans le monde arabe. Ainsi celle de l’éditorialiste du quotidien saoudien "Al Jazirah" (aucun lien avec la chaîne de télévision qatarie), Ahmad Al Faraj, qui se "réjouit de l’initiative de Netanyahou", laquelle "servira davantage les intérêts des pays du Golfe que le comportement insensé d’un des pires présidents américains".

Alliance de fait entre Israël et les pays sunnites

On croit rêver ? Un peu seulement. Car cet article très politiquement incorrect ne fait que souligner une réalité politique bien installée dans la région. Celle d’une alliance de fait entre Israël et les pays arabes sunnites. L’État juif a en effet plus besoin que jamais de celle-ci.

Stratégiquement d’abord, parce que l’Iran est la seule puissance qui puisse lui contester un jour sa suprématie militaire, économique, scientifique et même culturelle - aujourd’hui absolue au Moyen-Orient. Et tactiquement ensuite, parce qu’Israël n’est plus en guerre qu’avec le Hezbollah chiite. Et encore, celui-ci est actuellement trop occupé à sauver la mise de Bachar al-Assad. La paix, même froide avec la Jordanie et surtout l’Égypte, qui a chassé les Frères musulmans du pouvoir permet des coopérations sécuritaires essentielles. Notament pour contenir le Hamas palestinien que le Caïre considère désormais comme terroriste.

C’est d’ailleurs un autre sujet de désaccord majeur avec Washington : l’attitude face à l’islam politique. Alors qu’Obama ménage toujours ces islamistes, Le Caire les persécute et Riyad en a une peur bleue. Tout comme les autres pays du Golfe, à l’exception du Qatar, qui continue de les soutenir même si c’est de plus en plus mollement.

La peste et le choléra

Mais attention, il ne s’agit pas, comme certains le croient, de miser sur Daech contre la Syrie et l’axe chiite qui passe par Bagdad et Téhéran. Les Arabes et Israël à l’unisson pensent que choisir entre la peste et le choléra est un jeu de dupes. Et d’une certaine manière, c’est cette alliance officieuse mais objective entre "l’entité sioniste" et les gouvernements "post printemps arabe" qui grossit les rangs de Daesh.

Au moment où les États-Unis pensent qu’un rapprochement avec l’Iran (et avec la Syrie d’Assad ?) est indispensable à la guerre contre l’ennemi prioritaire - l'organisation de l'État islamique - et que les Européens s’interrogent sur un éventuel rapprochement avec la Syrie dans le même but, les Israéliens et les Arabes, dans un coude-à-coude historique, considèrent qu’Obama commet là une faute politique et morale qui mettrait en danger leurs intérêts fondamentaux et leur sécurité.

Se mettre à dos à la fois les Israéliens et les Arabes, voilà une audace que n’avait encore jamais eue aucun président américain !