
Après avoir fait l'objet d'un contrôle nocturne de la police, le quotidien d’opposition turc "Cumhuriyet" a publié quatre pages du dernier numéro de l'hebdomadaire satirique français, dont la une représentant le prophète.
Le quotidien d’opposition turc "Cumhuriyet" a publié, mercredi 14 janvier, après un dernier contrôle nocturne de la police, quatre pages du premier numéro de l'hebdomadaire satirique français "Charlie Hebdo" paru après l'attentat qui a décimé sa rédaction, rapporte l’AFP.
Entièrement traduites en turc, ces quatre pages, distribuées dans un cahier central intégré au journal laïc, reprennent l'essentiel des articles et des caricatures de "Charlie", y compris sa une représentant le prophète Mahomet, mais en format vignette en page intérieure.
"Environ 50 % des papiers ont été repris en turc, dont ceux de Patrick Pelloux et Fabrice Nicolino, ainsi que 50 % des caricatures, rapporte Fatma Kizilboga, correspondante de France 24 à Istanbul. Nous n’avons pas encore ici la version française de ‘Charlie Hebdo’, mais ce que nous pouvons dire c’est que les dessins repris sont assez gentils. Nous ne sommes pas dans la provocation."
Dans un court billet, l'éditorialiste politique de "Cumhuriyet", Hikmet Cetinkaya, décrit sobrement la caricature. "Je le répète une fois encore, le terrorisme est un crime contre l'humanité, quelle que soit son origine. C'est pour cela qu'il [le prophète] tient dans sa main une pancarte ‘je suis Charlie’". Et d’ajouter : "[C'est] parce que nous sommes très très liés à la liberté d'expression. Et nous défendons les valeurs républicaines que la France défend aujourd'hui."
"Cela reste courageux de la part du journal, indique Fatma Kizilboga, dans la mesure où les caricaturistes que nous avons rencontré ces derniers jours nous ont expliqué avoir des lignes rouges, notamment sur l’islam." Une attitude d'autant plus courageuse qu'un journaliste de Cumhuriyet a confié mercredi 15 janvier à Hurrriyet Daily News que le journal avait reçu "des centaines de menaces de mort".
Annoncée mardi par le rédacteur en chef de "Charlie Hebdo", Gérard Biard, la publication de cet encart en Turquie a été très surveillée par les autorités islamo-conservatrices turques, qui ont souvent dénoncé les "provocations" du journal français.
Descente à l’imprimerie
Le quotidien turc a annoncé sur son site internet que la police avait effectué dans la nuit une descente à son imprimerie à Istanbul, examiné le contenu du journal et téléphoné à un procureur avant d'autoriser sa distribution.
>> À voir dans la Revue de presse : "La presse française salue la parution de 'Charlie Hebdo'"
La direction de "Cumhuriyet", qui devait initialement publier l'intégralité du numéro de "Charlie", a débattu mardi avant de décider de n'en passer que quatre pages condensées.
Dans une déclaration citée par les médias turcs, le responsable de la publication du journal, Utku Cakirözer, a expliqué n'avoir publié qu'une sélection "après consultation" et "préparé cette publication dans le respect des sensibilités religieuses de la société (turque) et de la liberté religieuse".
Dès mardi, la diffusion de ce numéro a fait l’objet d’une plainte, rapporte RFI. Mercredi matin, la police était déployée devant les locaux de la rédaction de "Cumhuriyet", à Istanbul, où elle attendait des manifestations contre la distribution du journal.
"Même s’il n’y a eu encore aucune réaction officielle, on imagine que cela fait grincer des dents au sein du gouvernement islamo-conservateur, commente la correspondante de France 24. On peut même s’attendre, dans le futur, à un procès visant 'Cumhurieyt'."
Dès mercredi, un tribunal turc a ordonné le blocage des pages internet publiant la une de Charlie Hebdo. "Ceux qui méprisent les valeurs sacrées des musulmans en publiant des dessins représentant soit-disant notre prophète sont clairement coupables de provocation", a par ailleurs réagi sur Twitter l'un des vice-Premiers ministres du gouvernement islamo-conservateur au pouvoir à Ankara, Yalcin Akdogan.
Fondé en 1924 par un proche du fondateur de la Turquie moderne et laïque Mustafa Kemal Atatürk, le quotidien est résolument opposé au régime du président Recep Tayyip Erdogan. Il a fait l'objet ces dernières années de nombreux procès et a été la cible d'attentats. Plusieurs de ses journalistes ont été emprisonnés.
Avec AFP