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Somalie : des soldats de l’Union africaine de nouveau accusés d’abus sexuels

Elles sont 21 femmes et jeunes filles somaliennes à avoir été violées ou sexuellement exploitées par des militaires servant dans les forces de l’Union africaine à Mogadiscio. Dans un rapport accablant de Human Rights Watch, elles témoignent.

Dix dollars. C’est la somme que de jeunes somaliennes, parfois âgées d’à peine 15 ans, ont reçue de la part de soldats de l’Union africaine (UA) après avoir été violées, dénonce Human Rights Watch, dans un rapport à charge publié lundi 8 septembre.

Des médicaments, de la nourriture, de l’eau… En confiance, elles étaient venues chercher de l’aide dans l’une des deux bases de la Mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom). "Il a commencé par arracher mon hijab, et puis il m’a agressée." Qamar, 15 ans, était allée à la base du contingent burundais à Mogadiscio pour obtenir des médicaments pour sa mère malade. Un interprète somalien lui a alors demandé de suivre deux soldats pour avoir ces produits. Ils l’ont emmenée dans un coin isolé, et l’un des soldats l’a violée. Alors qu’elle partait, le deuxième soldat burundais lui a tendu 10 dollars.

D’autres, affamées, n’ont pas connu meilleur sort. En mai 2013, Kassa a été présentée à un interprète somalien au camp de base de l’Amisom dans l'espoir d'obtenir un peu de nourriture. "J’étais inquiète, a-t-elle raconté. J’ai voulu m’enfuir en courant, mais je savais que la raison qui m’avait amenée ici me permettrait de surmonter ce moment – ma faim. J’avais fait un choix, et je ne pouvais plus reculer." Après avoir eu des rapports sexuels avec un soldat ougandais, elle a reçu la même somme des mains de l’interprète. Dix dollars.

Par l'intermédiaire d'interprètes, ces soldats - venus d'Ouganda, du Burundi, ou encore de Sierra Leone - ont "exploité la pauvreté et le manque de nourriture des femmes pour obtenir des relations sexuelles", dénonce l’ONG. "Les femmes et les jeunes filles qui viennent chercher de l’aide dans les camps de l’Amisom de Mogadiscio le font au prix de risques importants", conclut Human Rights Watch, dans son rapport de 81 pages, intitulé "Le pouvoir que ces hommes ont sur nous : exploitation et abus sexuels commis par les forces de l’Union africaine en Somalie".

Vingt-et-une femmes violées ou sexuellement exploitées

"Elles ne devraient pas avoir à vendre leur corps pour que leur famille puisse survivre", s’insurge Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. Et de prévenir qu’une "nouvelle crise alimentaire s'annonçait dans les camps de personnes déplacées".

Pour ce rapport, qui rassemble des informations sur l’exploitation et les abus sexuels subis par des femmes et des jeunes filles somaliennes dans deux bases de l’Amisom de Mogadiscio, depuis 2013, Human Rights Watch a rencontré 21 femmes et jeunes filles. Elles racontent avoir été violées ou sexuellement exploitées par des militaires ougandais ou burundais servant dans les forces de l’UA. Des dires confirmés par plus de 30 témoins, observateurs étrangers, soldats et responsables de pays contributeurs de troupes.

"Les pays contributeurs de troupes, l'Union africaine et les bailleurs qui financent l'Amisom devraient se pencher urgemment sur ces abus et renforcer les procédures en Somalie pour que justice soit rendue", a estimé l'ONG de défense des droits de l'Homme.

Urgemment, car l'Amisom, déployée depuis 2007 en Somalie où elle appuie les fragiles autorités de Mogadiscio dans leur combat contre les islamistes shebab, n’en est pas à son premier crime sexuel.

Des viols en série

Mi-août 2013, la mission ouvrait une enquête sur une accusation de viol en réunion d'une Somalienne par certains de ses soldats. La victime aurait été enlevée, droguée et violée à plusieurs reprises début août à Maslah, dans la banlieue nord de Mogadiscio.

En février de cette même année, la victime d’un viol similaire et le journaliste à qui elle s'était confiée avaient été condamnés à de la prison ferme pour "outrages aux institutions". Face au tollé au sein de la communauté internationale, leurs condamnations avaient ensuite été annulées par la justice somalienne.

"L'Amisom est au courant des accusations portées contre ses soldats", avait alors admis la Force africaine dans un communiqué. Depuis, l’enquête, elle, est toujours en cours…

"L’UA ne peut plus fermer les yeux sur les exactions commises dans les bases de l’Amisom, car cela nuit à la crédibilité même de cette mission", a prévenu Liesl Gerntholtz, directrice de la division Droits des femmes à Human Rights Watch. "Les gouvernements qui la soutiennent devraient œuvrer avec l’UA pour mettre fin aux abus sexuels et à l’exploitation des femmes et des jeunes filles somaliennes par leurs soldats, prendre des mesures contre ceux qui y participent, et faire tout leur possible pour prévenir de nouveaux cas d’abus et d’exploitation sexuelle des femmes somaliennes à l’avenir", enjoint-il.

Pour lutter contre ces violences sexuelles, véritable fléau lors des conflits en Afrique, les accords conclus entre l’ONU et l’Union africaine, tout comme les conférences et les "condamnations fermes" de la communauté internationale ne semblent rien y faire. Le mandat de l’Amisom a quant à lui été prorogé par le Conseil de sécurité jusque 2016. Les élections générales dans le pays sont prévues la même année et la mission de maintien de la paix mise en place par l’Union africaine devrait ainsi quitter la Somalie à l’issue de son mandat.

France 24 n’est toujours pas parvenu à joindre l’Union africaine ou l’Amisom.