
Les signes de la présence militaire iranienne se multiplient en Irak, alors même que les États-Unis souhaitent s’appuyer sur des "forces régionales" pour contrer l’offensive jihadiste. Peut-on pour autant parler d'une alliance américano-iranienne ?
Réunis en marge du sommet de l'Otan à Newport, au Royaume-Uni, vendredi 5 septembre, le secrétaire d'État John Kerry et le secrétaire à la Défense Chuck Hagel, ont appelé les ministres d'une dizaine d'États membres de l'Alliance atlantique à la constitution rapide d'une "large" coalition pour "détruire" l'organisation de l'État islamique (EI) en Irak et en Syrie.
Le président américain Barack Obama, présent également, s'est dit confiant dans la constitution d'une vaste alliance internationale, malgré les nombreuses questions encore en suspens. Outre les États-Unis, les ministres de la Défense et des Affaires étrangères du Royaume-Uni, de la France, de l'Allemagne, de l'Italie, du Danemark, de la Turquie, de la Pologne, du Canada et de l'Australie étaient présents lors de cette rencontre en marge du sommet de l'Otan. "Ce groupe réuni ici ce matin constitue la base d'une coalition, a annoncé Chuck Hagel. C'est le groupe qui va permettre de former une coalition plus large et plus étendue dont nous avons besoin pour répondre à ce défi."
"Il faut attaquer [les jihadistes de l’État islamique] de manière à les empêcher de conquérir des territoires, il faut renforcer les forces de sécurité irakiennes et les autres forces régionales qui sont prêtes à les affronter, sans engager nos propres troupes", a ajouté le secrétaire d’État américain John Kerry lors de cette réunion.
Qu’entendent exactement les États-Unis lorsqu’ils parlent d’un recours aux "forces régionales" ? Les déclarations de John Kerry et d'Obama marquent-t-elles la naissance d’une alliance de circonstance avec l’Iran ? L’EI représente un ennemi commun tant pour Washington que pour Téhéran. Car le risque d’une prise de pouvoir des sunnites radicaux chez le voisin irakien est perçu comme un danger pour la République islamique chiite. Est-ce à dire pour autant qu’Américains et Iraniens sont prêts à collaborer sur le terrain ? Certains éléments portent à croire que c’est déjà le cas.
L’ayatollah Khamenei approuve en silence
D’après la BBC Persian, le Guide suprême iranien Ali Khamenei aurait approuvé une "coopération" de son pays avec les États-Unis pour lutter contre l’EI dans le nord de l’Irak. Une source a rapporté au média britannique que le Guide suprême iranien aurait autorisé "ses hauts commandants à coordonner des opérations militaires avec les forces américaines, kurdes et iraniennes". Un feu vert inédit : jusqu'alors, l’ayatollah Khamenei s'était toujours opposé aux "ingérences" extérieures en Irak.
Mais l'information de la BBC a rapidement été démentie par une source proche du Guide, citée par Thomas Erdbrink, correspondant du "New York Times" à Téhéran, sur Twitter.
Quand bien même une coopération entre Iraniens et Américains serait mise en place, difficile pour le plus haut responsable politique iranien de confirmer l’existence d’une telle alliance avec le pays qui est toujours surnommé "le Grand Satan" dans les milieux conservateurs iraniens. Les prêches de la grande prière de Téhéran sont encore ponctuées des cris rassembleurs de "mort aux États-Unis", même si quelques affiches de propagande anti-américaines ont été retirées des rues de Téhéran depuis l’élection du président modéré Hassan Rohani.
Côté américain, les diplomates prennent eux aussi des pincettes dès qu'il s'agit d'évoquer l'Iran, avec qui les relations diplomatiques ont été officiellement interrompues depuis avril 1980. "Nous n'allons pas coordonner une action militaire ou le partage de renseignements avec l'Iran et nous n'avons pas pour projet de le faire", a ainsi déclaré la porte-parole du département d'État américain, Marie Harf, vendredi 5 septembre. Les États-Unis sont "bien sûr ouverts à un engagement" diplomatique avec Téhéran "comme nous l'avons fait par le passé", a toutefois précisé la diplomate, faisant référence à la coopération entre Téhéran et Washington en Afghanistan après la chute des Taliban en 2001.
Appui militaire iranien en Irak
Mais sur le terrain irakien, les Iraniens seraient bel et bien présents dans les mêmes localités où les Américains sont intervenus. Une photo du général Qasem Soleimani, haut commandant de la force Qods, circule sur Twitter depuis plusieurs jours. Elle aurait été prise lors des opérations militaires de reconquête de la ville d’Amerli, dans le nord de l’Irak... Signe d'une coopération avec les Américains dont les frappes aériennes coordonnées à l’avancée de l’armée loyaliste, des miliciens chiites et des combattants kurdes au sol, ont permis la reprise de cette ville assiégée par l’EI. Mais pour l'heure, rien d'autre que ce cliché amateur n'atteste d'une présence iranienne à Amerli.
Stratège et homme de l’ombre des coopérations militaires iraniennes dans le Moyen-Orient depuis des années, le général Soleimani s’est montré très actif ces derniers mois. Il aurait joué un rôle important dans la protection de la ville de Bagdad.
Lors d’un déplacement dans la capitale irakienne en juin, le général iranien a apporté ses conseils stratégiques à de hauts représentants irakiens pour aider à planifier la contre-offensive face à l’EI, selon des sources irakiennes citées par Reuters. Son plan incluait l’utilisation de milliers de miliciens chiites armés et entraînés par l’Iran, ainsi que de nouvelles recrues composées de volontaires irakiens mobilisés par l’appel de l’ayatollah Sistani, la plus haute autorité religieuse chiite d'Irak. À en croire la reconquête de la ville d'Amerli grâce au renfort des milices chiites, son plan a fonctionné...
Pour Thomas Erbrink, difficile pourtant de parler de la naissance d’une "alliance" avec les Américains. Le journaliste estime que, pour l'heure, "les Iraniens conseillent, les Irakiens et les Américains se coordonnent et combattent ensemble". D’après une source proche de l’ayatollah Khamenei citée par le correspondant du "New York Times", "la photo du général Soleimani sur le sol irakien atteste que l’Iran apporte ses conseils militaires à l’Irak, pas qu’ils coopèrent avec les Etats-Unis".