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Bowe Bergdahl, le GI retenu en Afghanistan pendant cinq ans, est rentré vendredi aux États-Unis. Son aventure rappelle l’intrigue de la série à succès "Homeland", dans laquelle un ex-soldat otage revient au pays sous les traits d’un terroriste.
Dans la série américaine "Homeland", le sergent Brody, après avoir été arraché des mains d'Al-Qaïda par les forces spéciales américaines, retourne aux États-Unis sous le feu des projecteurs, attendu en grandes pompes sur le tarmac de l’aéroport. Le soldat Bergdahl a connu un retour beaucoup moins triomphal, lorsqu’il est rentré au bercail vendredi 13 juin, après avoir été retenu en otage pendant près de cinq ans par les Taliban afghans.
Libéré le 31 mai, Bowe Bergdahl est en effet arrivé sobrement à San Antonio, au Texas, avant d’être conduit dans un hôpital militaire. L’homme de 28 ans doit y poursuivre la prochaine phase de son processus de réintégration. Le mystère qui plane sur les conditions de sa capture, en juin 2009, ainsi que sa libération, effectuée en échange de celle de cinq Afghans retenus à Guantanamo, n’ont pas manqué de titiller les penchants conspirationnistes de nombreux Américains.
"Aux États-Unis, la culture de masse véhicule un sentiment de méfiance envers les prisonniers de guerre libérés. Dans l’imaginaire collectif, ils représentent un risque pour la sécurité du pays", estime un journaliste du "Washington Post", dans un article daté du 4 juin. Exemple : le grand classique de la littérature américaine "The Manchurian Candidate" ("Un crime dans la tête") qui suit le parcours d’un soldat américain lors de la guerre de Corée, capturé par les Chinois et victime d’un lavage de cerveau. Plus récemment, la série "Homeland", l’unes des fictions télévisées préférées d’Obama, surfe sur cette angoisse avec succès.
Trailer de la saison 1 de Homeland
"Bergdahl n’est pas un héros"
Dans cette série, Nicholas Brody (joué par Damian Lewis), ex-prisonnier en Afghanistan, est accueilli en héros dans son pays d’origine, où sa popularité lui vaut d’être rapidement élu député. Mais l’homme joue en réalité un double jeu : révolté contre la politique de son pays, il a été converti en apprenti terroriste par son geôlier et ami - l’équivalent d’un chef d’Al-Qaïda - dont le fils a été tué dans l’attaque d’un drone américain.
Le personnage de Brody et le soldat Bergdahl se rejoignent sur une question essentielle : leur désamour vis-à-vis de l’armée américaine. Dans des mails datés de 2012, et publiés par le site "Rolling Stone", Bowe Bergdahl confiait à ses parents : "L'armée américaine est la plus grande blague du monde. C'est une armée de menteurs, d'hypocrites, de fous et de tyrans. Les quelques rares bons sergents se barrent dès qu'ils le peuvent et nous conseillent de faire de même […]. Ces gens [les Afghans] ont besoin d'aide et tout ce qu’ils récoltent, c'est le pays le plus arrogant au monde qui leur dit qu'ils ne sont rien, qu'ils sont stupides et qu'ils ne savent pas comment vivre."
Par ailleurs, certains membres de son unité accusent Bowe Bergdahl d'avoir été kidnappé alors qu'il désertait. D'après un ancien haut gradé, cité par le "New York Times", le jeune militaire, alors âgé de 23 ans, aurait quitté sa tente sans ses armes et aurait laissé derrière lui une note exprimant la désillusion que lui inspirait sa mission en Afghanistan. De quoi alimenter les soupçons envers lui. Un groupe Facebook intitulé "Bergdahl n’est pas un héros" a été créé et une pétition, adressée au président américain afin d’exiger des sanctions exemplaires à son encontre, a été mise en ligne. Cette désertion présumée est, selon ces internautes, d’autant plus répréhensible que six soldats sont morts au cours des recherches conduites pour le retrouver.
"Un stéréotype qui n’apporte rien"
"La question de savoir si Bergdahl a changé de camp est présente tous les jours dans les journaux", a déclaré, sur CNN, Gideon Raff, le créateur de la série "Prisoners of war". Cette dernière, ancrée dans le conflit israélo-palestinien, a inspiré "Homeland". "Il y a forcément des similarités entre [Bowe Bergdahl] et Brody : la thématique du soldat détruit qui rentre à la maison, les différentes réactions face à ceux qui l’accueillent, ceux qui invoquent la cour martiale… Les parallèles entre la série et la réalité sont assez évidents."
Cependant, le fantasme du soldat captif converti en dangereux terroriste par ses ravisseurs ne s’applique pas au cas Bergdahl, soutient le site "Business Insider", selon lequel la série télévisée n’apporte que peu de clés pour comprendre la situation de ce soldat. "Le personnage de Brody est dépeint comme un individu détruit, souffrant d’un stress post-traumatique, qui le pousse à trahir son pays. C’est un stéréotype qui n’est d’aucune aide", analyse Robert Caruso, un ancien vétéran des guerres en Irak et en Afghanistan.
"'Homeland' ne nous apprend à peu près rien sur la capture et le retour de Bergdahl", juge par ailleurs Armin Rosen, un journaliste spécialisé dans les questions militaires. "La série parle de conspiration à haute échelle, impliquant tout le monde, du chef d’Al-Qaïda au directeur de la CIA. Cela se passe dans un Washington fictif où toute sorte d’intrigue improbable semble possible. En comparaison, l’histoire de Bergdahl concerne un seul individu, confronté à ses propres décisions", poursuit-il, toujours cité par "Business Insider".
L’histoire d’un homme, dont le scénariste Gideon Raff prédit les difficultés futures : "Revenir au pays est généralement la chose la plus dure. Pour certains anciens prisonniers, c’est même plus dur que la captivité elle-même. C’est le début d’un long et difficile chemin vers le rétablissement".