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Voter trois fois au référendum de l'est de l'Ukraine

Alors que la région de Donetsk s’est prononcée dimanche sur son autonomie, l'un de nos envoyés spéciaux a suivi un activiste ukrainien déterminé à mettre en lumière les fraudes lors de cette consultation organisée dans l'est de l'Ukraine.

"J’ai voté trois fois !", lâche Yehven Semekhin, fou d’enthousiasme. "Et je ne vais pas m’arrêter !" Ce militant, leader de la section locale de Donetsk de l’Alliance Démocratique, un petit parti politique créé en 2011, est déterminé à mettre en lumière la fraude de ce référendum régional. Yehven, qui défend l’unité de l’Ukraine, se sait en danger. "Nous savons qui vous êtes et où vous vivez", lui ont signalé des gros bras au premier bureau de vote où il s'est présenté, raconte-t-il, alors qu’il essayait de se filmer sur le fait.

C’était à 9h30, dimanche 11 mai, à Makiivka, une ville de quelque 350 000 habitants en périphérie de Donetsk. À 11h, puis à 11h10, il a recommencé, cette fois-ci en se filmant avec un téléphone portable.

À Makiivka, les gens détestent habituellement les photos. Ceux qui tenaient les bureaux de vote de la "République populaire de Donetsk" avaient de bonnes raisons de se méfier : sans chercher la petite bête, les images de bureaux de vote sans cabines prouvent bien qu’il est illusoire d’envisager que ce vote puisse se faire dans le respect des normes internationales.

Nous prenons place dans une vieille Lada pour tenter de répéter l’exploit dans la ville voisine de Yasinuvata. Yehven a noué à son rétroviseur un ruban orange et noir de Saint-Georges, que les Ukrainiens pro-russes ont adopté comme symbole "anti-fasciste". "On se déguise en séparatistes", s’exclame-t-il, "À bas le fascisme !" Dès qu’il sort de sa voiture, il décroche le ruban et l’attache à son bras. C’est à la fois une mesure de précaution et un moment de franche rigolade.

"C'est un club de boxe, vous voulez combattre ?"

L'humour quasi hystérique de Yehven cache sans doute son désespoir. Un grand nombre d’officiers de police se sont, plus ou moins ouvertement, rangés du côté des séparatistes au cours des dernières semaines. Pour Yehven, ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne le fassent officiellement. Dans un bureau de vote de Makiivka, un membre du service d’ordre nous a dit fièrement qu’un officier de police en uniforme venait juste de voter… lors d'un scrutin qu’il sait illégal.

À Yasinuvata, cependant, les choses se sont avérées différentes. Le bureau de vote – une école, où de la musique soviétique est diffusée à plein volume – disposait de véritables isoloirs. Les assesseurs semblaient vérifier et revérifier les documents d’identité des votants. La présidente était heureuse de nous laisser filmer et d’expliquer les garanties mises en place contre le vote multiple. Elle était presque en larmes en décrivant les foules qui s’étaient déplacées pour voter plus tôt dans la journée. Yehven a décidé de ne pas tenter sa chance ici.

De toute évidence, un grand nombre d'Ukrainiens de l'Est ont été convaincus par la propagande russe, qui affirme que le nouveau gouvernement pro-occidental à Kiev est une junte fasciste. Nous n'avons rencontré personne à Yasinuvata qui ait voté contre "l'autonomie" de la "République populaire de Donetsk". Les sondages d’opinion dans cette région ont pourtant régulièrement montré que la majorité des habitants ne soutient pas les séparatistes. Mais après des semaines de violences et de menaces contre des militants pro-ukrainiens, la majorité est silencieuse et intimidée.

Dans la localité suivante, à Zemlyanky, nous avons eu un aperçu de ce que l'on peut qualifier d'intimidation dans le Donbass. Voyant ma caméra, huit hommes assez jeunes, plutôt alcoolisés, ont bloqué notre accès à l'immeuble, qui abrite un bureau de vote. Ce qu'ils ont nié : "C'est un club de boxe, vous voulez combattre ?" Il aurait fallu un certain courage physique pour voter "non" en leur présence.

Nous avons battu en retraite et, remarquant sur le chemin du retour que nous étions suivis, Yehven a décidé que trois "non" étaient assez pour un référendum. Il n'était pas le seul à avoir réalisé cet exploit. Les échos de vote multiple arrivaient des régions de Donetsk et Lougansk. Les gens votaient très loin de chez eux, souvent sans que personne ne vérifie s'ils étaient vraiment de la région. 

En l'absence d'observateurs internationaux et avec des organisateurs fermement dans le camp du "oui", il n'y a guère de chance d'obtenir une évaluation indépendante des résultats.

Yehven devait attraper un train pour Kiev, un déplacement professionnel. "J'ai peur, à mon retour dans deux semaines, de ne pas revenir à Donetsk en Ukraine, mais dans un autre pays : 'la République populaire de Donetsk'", s'inquiète-t-il.