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Rien ne laissait présager un tel incident diplomatique : la France a décidé, samedi dans la soirée, de ne pas se rendre aux commémorations du génocide rwandais, après avoir été accusée par le président Kagame d’avoir participé au massacre.

Entre la France et le Rwanda, la réconciliation était sur la bonne voie. Un dialogue renoué depuis quelques années, la condamnation en mars du premier génocidaire par la Cour d’assises de Paris : les relations semblaient apaisées. Mais à la veille des commémorations du 20e anniversaire du génocide : coup de théâtre. Le président Paul Kagame accuse ouvertement la France, dans une interview accordée au magazine "Jeune Afrique", d'avoir été un acteur du bain de sang en 1994.

“Lorsque je lui [Paul Kagame, NDLR] pose la question ‘complicité ou participation’ de la France, il me répond : ‘Les deux’”, explique à FRANCE 24 François Soudan, rédacteur en chef de “Jeune Afrique” et auteur de l’interview choc du président rwandais. “Interrogez les rescapés du massacre de Bisesero en juin 1994 et ils vous diront ce que les soldats français ont fait”, lâche le président rwandais au journaliste, pour prouver, selon lui, que la France a bel et bien “participé” au génocide qui, en cent jours, a conduit à l’extermination de 800 000 personnes, dont une immense majorité issues de l’ethnie tutsie.

“Défendre l’honneur de la France”

Même si, selon François Soudan, le président rwandais n’accuse pas la France d’aujourd’hui mais celle de 1994, le mal est fait. Et Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères, a appelé François Hollande à défendre l’honneur de la France après ces accusations. Ce que le chef de l’État semble avoir entendu puisque le déplacement très attendu au Rwanda de la garde des Sceaux, Christiane Taubira, a été aussitôt annulé. La France ne sera pas représentée aux commémorations du 20e anniversaire du génocide.

“C’est un véritable coup de tonnerre pour les Rwandais”, commente Marc Perelman, envoyé spécial de FRANCE 24 au pays des mille collines. D’ailleurs, Kigali a mis près de 15 heures après l’annonce par la France de son boycott pour réagir. “J’ai bien essayé de contacter les autorités rwandaises mais personne n’a souhaité me répondre sur le sujet. Je pense qu’ils sont gênés par la situation et qu’ils ont mis du temps avant de trouver quoi répondre à cet incident diplomatique.” La ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, s’est contentée de qualifier “d’injustifiée” la décision de Paris. Et d’abonder prudemment dans le sens du président : la France “doit regarder la vérité en face”, a-t-elle écrit dans un communiqué publié dimanche à la mi-journée.

Un incident diplomatique “non prémédité”

Marc Perelman, qui s’est entretenu avec Paul Kagame samedi, juste avant la révélation du contenu de l’interview de “Jeune Afrique”, estime qu’il s’agit avant tout d’un “mauvais calcul” de la part du président rwandais. D’autant que l’interview qu’il a accordé à FRANCE 24 ne laissait pas présager un tel volte-face : “Je tiens à dire que je n’accuse pas la France ou qui que ce soit. Ce sont les faits historiques qui mettent en lumière l’implication et la responsabilité que certaines personnes peuvent avoir dans la tragédie qui a touché notre pays”, a confié Paul Kagamé au micro de Marc Perelman.

Lors de cet entretien, le président rwandais a également souligné qu’il avait brièvement rencontré François Hollande lors du sommet Europe-Afrique de Bruxelles et qu’à l’issue de cette entrevue, il s’était dit “heureux” de voir des dignitaires étrangers se déplacer au Rwanda pour les commémorations du génocide. “Je pense que Paul Kagame ne s’attendait pas à une réaction aussi sévère de la France. [...] Cet incident n’était clairement pas prémédité et il met très probablement les autorités rwandaises dans l’embarras. Car ici, tout le monde tient à ces commémorations qui marquent un moment fort et difficile dans l’histoire du Rwanda”, ajoute Marc Perelman.

Le Rwanda “n’attend rien de la France, sauf des excuses”

Reste que la formulation directe de ces accusations contre la France et les mots choisis par Paul Kagame sont tout de même “surprenants” de par leur véhémence. Si bien que l’on en vient à se demander si sa motivation pour améliorer ses relations avec l’hexagone n’a pas été entamée avec les années. “Ce n’est pas la première fois que le président rwandais pointe du doigt la France, mais il ne l’avait pas fait de la sorte depuis des années”, rappelle Marc Perelman. “Il a fallu longtemps et beaucoup d’efforts pour réparer les relations entre les deux pays. Kagame a montré, par le passé, qu’il avait à cœur de maintenir de bonnes relations avec Paris car le Rwanda a plus que jamais besoin de l’aide financière des Occidentaux. Mais la France est loin d’être son plus généreux donateur.”

Sous perfusion financière du Royaume-Uni et des États-Unis, le Rwanda n’a, en effet, pas grand-chose à craindre ni “grand-chose à attendre de la France, si ce n’est des excuses”, souligne Pauline Simonet, une autre envoyée spéciale de FRANCE 24 à Kigali. En février 2010, l’ancien président Nicolas Sarkozy avait fait un premier pas en ce sens en reconnaissant “une grave erreur d’appréciation et une forme d’aveuglement de la France”, alliée en 1994 au régime extrémiste hutu responsable du massacre. Mais pas d’excuses.

L’implication de la France toujours floue

Malgré les efforts diplomatiques des deux pays pour renouer le dialogue, vingt ans après les faits, de nombreuses zones d’ombre quant au rôle de la France dans le génocide continuent de faire obstacle à la réconciliation et d’agacer côté rwandais. C’est le cas, notamment, de l’opération Turquoise, une opération française à but officiellement humanitaire mais que Kagame et beaucoup de Rwandais voient toujours comme une opération ayant en fait permis l’évacuation de génocidaires au Congo voisin. Il est également question du soutien de Paris à l’ancien régime et de ventes d’armes aux génocidaires. “Il y a eu des enquêtes à la fois en France et au Rwanda. Mais le fin mot de l’histoire n’a toujours pas été trouvé. Cette crise diplomatique inattendue ne fait qu’illustrer une nouvelle fois l’aspect volatile des relations entre les deux pays”, résume Marc Perelman.

Paul Kagame doit s’exprimer, lundi, lors des commémorations du génocide. Un discours qui devrait faire fi de la brouille avec Paris mais qui sera tout de même l’occasion, pour le président rwandais, de rappeler que les Occidentaux sont priés de ne pas interférer dans les affaires du pays et que les Rwandais peuvent - et souhaitent - se gérer eux-mêmes. Une manière aussi de prouver au peuple rwandais que le président a les choses en main. Bien loin des préoccupations historiques, les habitants ont - pour la plupart - tourné la page du génocide et préfèrent se concentrer sur leur vie, voire leur survie pour bon nombre d’entre eux.