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Rwanda : Roméo et Juliette au pays des mille collines

Elle est tutsie, il est hutu. Vestine et Emmanuel sont mariés, formant un couple - encore extrêmement rare dans le Rwanda d’aujourd’hui - entre une survivante du génocide et un génocidaire. Reportage à Kigali.

Vestine et Emmanuel se regardent avec l’œil attendri des amoureux. Cela fait une dizaine d’années qu’ils vivent ensemble, élevant leurs enfants dans une maison modeste de Nyakanbanda, un quartier au sud de Kigali, la capitale du Rwanda. Pourtant, elle est tutsie, il est hutu. 

Il y a vingt ans, il aurait pu l’éliminer comme tous ces autres qu’il considérait comme des "inyenzi" (cafards, en kinyarwanda), l'appellation donnée aux Tutsis par le "Hutu Power", le mouvement extrémiste hutu. En 1994, quand éclatait le génocide qui a fait plus de 800 000 morts en cent jours, Emmanuel  s’est enrôlé dans les milices interhamwe. Une soixantaine de Tutsis, ses propres voisins, sont tombés sous sa main.
"On nous a ordonné de tuer les Tutsis. On allait aussi dans les maisons pour les sortir, les tuer, les jeter dans la rue. […] On était tous ensemble. On appelait ça ‘travailler’", témoigne Emmanuel Harindintwari, au micro de Willy Bracciano et Catherine Norris Trent envoyés spéciaux de FRANCE 24. Il se remémore avec douleur l’agonie des victimes, les corps inanimés qui jonchaient les rues de son quartier.
"Il a été contraint d'agir de la sorte"
Vestine Mukunzi Kayitesi n’avait que huit ans au moment du génocide, mais elle non plus n’a rien oublié. Ses parents et ses frères ont été tués par les frères d’armes de son mari. "Je n'ai pas seulement vu mes parents mourir, mais aussi beaucoup d'autres gens, tués à coups de machettes ou de gourdins à clous... C'était horrible", confie-t-elle. Vestine a réussi à se sauver ainsi qu’à pardonner.
Son mari n’a fait qu’obéir aux ordres, Vestine en est persuadée. Il s'est laissé happer par la violence au temps où, tous les jours, de l’aube au coucher, la radio des Mille collines incitait à la haine et encourageait à aller "au travail". "Je vis avec lui depuis longtemps. Il est évident qu'il a été contraint d'agir de la sorte. S'il l'avait fait de lui-même, je ne serais pas capable de vivre avec lui, parce qu'il serait cruel avec moi", explique avec certitude Vestine.
Emmanuel a payé pour ses crimes et écopé de huit ans de prison. Au moment de son procès dans un gacaca, juridiction populaire créée en 2001 pour juger les coupables du génocide, Vestine était déjà à ses côtés. Mais leur relation était décriée par Hutus et Tutsis. "Au début de notre vie commune, il y a des voisins hutus qui disaient : ‘Vous aimez vraiment les femmes tutsies au point d'oublier que ce sont les Tutsis qui nous ont mis en prison’. Moi je leur répondais : ‘Laissez tomber, tout cela c'est fini'", se souvient Emmanuel.
À sa sortie de prison en 2005, Emmanuel a redouté d’être rejeté par sa communauté. Mais  deux décennies après le génocide, pardon et résilience prévalent au pays des mille collines où les terminologies ethniques, "Hutu" et "Tutsi", sont bannies du vocabulaire. Aujourd’hui, les Rwandais veulent laisser ce sombre passé derrière eux.