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Jean-Yves Ollivier, négociateur de la Françafrique, sort de l'ombre

Proche de Jacques Chirac, Jean-Yves Ollivier a joué un rôle notable dans les négociations qui aboutirent à la libération de Nelson Mandela et à la fin de l'apartheid. Dans ses mémoires, cet homme de l’ombre dévoile les dessous de ces tractations.

Il y a peu, il fuyait la lumière et les journalistes. Jean-Yves Ollivier était ce qu’on appelle un homme de l’ombre, l’un de ces discrets "missi dominici" appelé à travailler sur les dossiers les plus sensibles de la Françafrique. Dans un livre intitulé "Ni vu ni connu"*, ce négociateur jette le masque en revenant longuement sur les négociations qu’il mena discrètement dans les années 1980 pour obtenir la libération de Nelson Mandela et la fin du régime raciste de l’apartheid en Afrique du Sud.

Né en Algérie en 1944, Jean-Yves Ollivier dit avoir connu le "traumatisme" du retour en France métropolitaine. Après un court passage en prison pour de ses liens présumés avec l’Organisation armée secrète (OAS), il entame une carrière dans le négoce de céréales qui lui fera rencontrer Jacques Foccart, alors influent monsieur Afrique de l’Élysée, puis Jacques Chirac, dont il fut l’un des "visiteurs du soir", comme on appelle ces officieux conseillers qui ont l’oreille des responsables politiques.  

Si, dans son récit, se croisent d’importants dirigeants africains de l’époque tels le Libyen Mouammar Kadhafi, le Zaïrois Mobutu ou encore l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire), c’est davantage en Afrique australe que l’intermédiaire fut appelé à œuvrer. Notamment en Afrique du Sud où, dès 1985, il a tenté, par l’entremise du président ivoirien, de faire libérer le héros de la lutte anti-apartheid, Nelson Mandela.

"Dans aucun village d’Afrique, il y a une case où s’est marqué prison"

"À cette époque-là, il s’agissait d’une initiative purement française, dit-il à FRANCE 24. Étaient engagés dans ces négociations : Jacques Foccart, Jacques Chirac et Pierre Messmer [ancien Premier ministre de Georges Pompidou]. Nous avons essayé de voir discrètement dans quelle mesure on pouvait convaincre le gouvernement sud-africain de libérer Nelson Mandela. Malheureusement, cette tentative, qui était bien partie, s’est mal terminée". La faute, affirme-t-il, aux trop grandes exigences des autorités sud-africaines. "Houphouët-Boigny a rompu les négociations avec cette phrase magnifique : ‘Vous pensez être la tribu blanche de l’Afrique, mais vous ne l’êtes pas. Dans aucun village d’Afrique, il y a une case où s’est marqué prison’."

Jean-Yves Ollivier décide alors de concentrer ses efforts sur les pays voisins. "Le problème sud-africain n’était pas un problème limité aux frontières du pays et le défaut de beaucoup de gens est de penser qu’une solution se négocie intra-muros." Et d’ajouter : "Il fallait redonner le sentiment qu’un dialogue pouvait s’établir entre l’Afrique du Sud, les pays qui l’encerclaient et les puissances internationales".

Après avoir arrangé un échange de prisonniers avec l’Angola alors en pleine guerre civile, l’intermédiaire français parvient à instaurer un climat de confiance dans la région. "Il fallait convaincre les Blancs qu’il y avait une voie de sortie pour eux, qu’il y avait une place pour cette nouvelle Afrique du Sud, ce qui est d’ailleurs arrivé. Pour cela, il fallait que l’Afrique s’implique. Et cet échange de prisonniers m’avait donné cette chance extraordinaire d’avoir acquis un capital de confiance qui me permettait de recommander, de cautionner des interlocuteurs."

Aussi, lorsque Frederik de Klerk succède à l’intransigeant Pieter Willem Botha à la présidence sud-africaine, Jean-Yves Ollivier fait en sorte que les Occidentaux prennent langue avec le nouveau chef de l’État, qui se dit près à faire des concessions. "J’ai fait rencontrer De Klerk et José-Manuel Barosso [alors ministre portugais des Affaires étrangères] à qui il a expliqué comment il comptait gérer le problème de l’apartheid. Ce qui m’a permis de faire accepter qu’il soit reçu officiellement par François Mitterrand [alors président français] pour l’encourager dans sa détermination." Bien qu’il n’ait pas pris part aux tractations ayant mené à la libération de "Madiba" en 1990, Jean-Yves Ollivier estime que ses efforts y ont contribué. "Mandela m’a fait l’honneur de me décorer de la haute distinction de son pays", rappelle-t-il.

Sur l’Afrique Sud d’aujourd’hui, l’ancien homme de l’ombre affirme qu’"il faut donner du temps au temps. Mandela est mort en ayant un rêve. Est-ce que ce rêve est devenu réalité ? Peut-être, mais faisons plus pour qu’il le devienne."

*"Ni vu ni connu : ma vie de négociant politique, de Chirac et Foccart à Mandela" de Jean-Yves Ollivier, édition Fayard.