Les députés turcs ont adopté, samedi, un projet de loi destiné à renforcer le contrôle politique sur les nominations de magistrats. Les détracteurs dénoncent une mesure visant à protéger le Premier ministre Erdogan d'un scandale de corruption.
L’adoption du très controversé projet de loi sur la réforme judiciaire ne s’est pas faite dans la sérénité. Samedi 15 février, au terme d'un débat sous très haute tension émaillé d'échanges de coups entre élus rivaux, les députés turcs ont adopté sans surprise le projet de loi, grâce à la majorité absolue dont dispose le Parti de la justice et du développement (AKP) du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan.
Entre autres mesures, ce texte autorise le ministre de la Justice à ouvrir des enquêtes sur les membres du Haut-conseil des juges et procureurs (HSKY), une des plus hautes instances judiciaires du pays en charge de nommer ses plus hauts magistrats. Il permet également au ministre d'imposer au HSYK son ordre du jour.
Les détracteurs de cette loi dénoncent un nouveau moyen d'étouffer le scandale de corruption qui éclabousse le Premier ministre. Déposée en janvier en pleine crise provoquée un scandale politico-financier sans précédent, cette réforme a provoqué la colère de l'opposition et les mises en gardes de l'Union européenne (UE) et des États-Unis, inquiets d'une remise en cause de "l'indépendance de la justice".
"Le Premier ministre veut devenir le ‘grand chef’ du pays. Il essaie de façonner une institution judiciaire qui prendra des décisions à son goût", s'est indigné le député du Parti républicain du peuple (CHP) Akif Hamzaçebi.
Scènes de pugilat entre députés rivaux
Sous la pression, le Premier ministre Erdogan avait consenti à "geler" les articles les plus controversés de son texte dans l'espoir de rallier l'opposition. Mais, sûr de sa majorité au Parlement, il a décidé, vendredi 14 février, de faire passer en force un texte à peine modifié qui consacre la mainmise du pouvoir politique sur les délibérations du HSYK.
Comme lors du premier débat en janvier, plusieurs députés en sont venus aux mains dans la nuit en plein hémicycle. L'un d'entre eux est sorti de ce pugilat le nez en sang.
Pour entrer en vigueur la loi doit encore être signée par Recep Tayyip Erdogan.
Une justice sous influence
Parallèlement, la justice turque, victime ces dernières semaines de purges sans précédent, a ordonné vendredi la remise en liberté d'une première vague de suspects incarcérés dans le cadre de l'enquête anticorruption.
Moins de deux semaines à peine après la nomination d'un nouveau procureur pour superviser ces dossiers, l'ex-PDG de la banque publique Halkbank Suleyman Aslan, au cœur du dossier, et cinq autres personnalités ont quitté leur prison après deux mois de détention.
En perquisitionnant à son domicile, les policiers avaient découvert l'équivalent de 4,5 millions de dollars en liquide dissimulés dans des boîtes à chaussures, devenues le symbole brandi par ses adversaires pour critiquer la corruption du régime. Les critiques du régime ont immédiatement dénoncé une décision sous influence.
Seule une poignée d'inculpés reste encore emprisonnée, dont l'homme d'affaires azerbaïdjanais Reza Zarrab et les fils des trois anciens ministres de l'Economie, de l'Intérieur et de l'Environnement, soupçonnés d'avoir touché des pots-de-vin.
Au total, des dizaines de patrons, hommes d'affaires, hauts fonctionnaires et élus proches du pouvoir ont été inculpés dans le cadre de cette affaire, qui déstabilise le Premier ministre avant les municipales du 30 mars et de la présidentielle d'août.
De son côté, l'opposition a déjà fait savoir qu'elle saisirait la Cour constitutionnelle.
Avec AFP et Reuters