
Le président américain Donald Trump s'en est violemment pris à la communauté somalienne américaine, essentiellement concentrée dans le Minnesota. AP - Jessie Wardarski
C'est une diatribe tout en outrance dont Donald Trump a le secret. Le président américain s'en est pris à la communauté d'origine somalienne qui réside aux États-Unis, qualifiant ses membres de "déchets" venant d'un pays "pourri", mardi 2 décembre.
"Je n'en veux pas dans notre pays", a ajouté Donald Trump, précisant qu'il comptait en profiter pour durcir encore un peu plus sa très controversée politique migratoire. Dans la foulée, l'administration américaine a suspendu toutes les demandes d'immigration provenant de 19 pays, comprenant la Somalie et dont la plupart font partie des plus pauvres au monde.
Fraude massive aux aides sociales
Ces attaques représentent "un cas d'école de la manière dont Donald Trump instrumentalise la question migratoire", assure Jérôme Viala-Gaudefroy, maître de conférences à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye et spécialiste des États-Unis.
"Il avait fait pareil avec les Afghans en partant du cas du tireur qui a tué deux gardes nationaux pour en tirer des généralités. C'est le même procédé avec la communauté somalienne", précise cet expert.
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En l'occurrence, le président américain et ses soutiens ultraconservateurs s'inspirent d'une affaire réelle de fraude massive impliquant des individus issus en majorité de la diaspora somalienne.
Depuis cinq ans, les procureurs fédéraux dans l'État du Minnesota ont mis en cause des dizaines d'individus dans le cadre d'une vaste affaire de détournements d'aides sociales, débutée durant la période de la pandémie de Covid-19.
Environ un milliard de dollars d'argent public ont ainsi été détourné par de fausses entreprises du secteur de la santé. "Même dans le contexte des fraudes aux aides qui ont pu se dérouler durant la pandémie, ce scandale ressort du lot de par son ampleur", souligne le New York Times.
"Le Minnesota avait mis en place un système de subventions, financées à la fois par les recettes fiscales de l'État et les fonds fournis par le gouvernement fédéral, pour assurer les besoins de base comme l'accès à la nourriture, aider les personnes ayant perdu leur emploi, ou encore soutenir les familles avec des enfants ayant besoin d'aides spécifiques comme dans les cas d'autisme. Dans ce contexte, des entreprises ont été créées en prétextant aider à distribuer ces aides, mais en réalité, leurs fondateurs ont gardé l'argent pour eux", résume Andrew Gawthorpe, spécialiste de l'histoire américaine contemporaine à l'université de Leyde, au Pays-Bas.
La justice a commencé à enquêter sur ce réseau de fausses entreprises à partir de 2020 pour établir ce que l'administration Biden a qualifié de "plus grande fraude aux aides d'urgence aux États-Unis".
Quand le Minnesota s'inspire du modèle scandinave
Dans l'un des dizaines de cas identifiés, des faux "assistants sociaux" recrutaient des jeunes issus de la communauté somalienne en les faisant passer pour des enfants autistes, parvenant à toucher plus de 14 millions de dollars d'aides, souligne le New York Times.
Ces centaines de millions de dollars détournée au total ont essentiellement servi à financer le train de vie dispendieux d'une centaine d'individus : voitures de luxe, maisons, projets immobiliers à l'étranger, détaille le quotidien américain.
Et la fraude n'a pas pris fin avec l'arrêt des aides liées à la crise sanitaire. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le Minnesota a été davantage touché que d'autres régions nord-américaines. "Il dispose d'un État-providence beaucoup plus robuste qu'ailleurs dans le pays et davantage calqué sur le modèle scandinave d'une taxation élevée en échange d'un système d'aides sociales généreux", explique Andrew Gawthorpe.
Cette spécificité doit beaucoup à la tradition politique très particulière de cet État. "Le parti démocrate au Minnesota s'appelle en réalité le ‘Minnesota Democratic-Farmer-Labor Party' [Parti Démocrate des fermiers et des travailleurs] qui résulte de la fusion entre le parti démocrate et un mouvement plus populiste et davantage ancré à gauche", souligne Andrew Gawthorpe.
"C'est pour cette raison que lorsque les Somaliens ont fui la guerre civile chez eux, dans les années 1980, une grande partie a choisi de s'installer au Minnesota qui avait cette réputation d'être un État où il fait bon vivre lorsqu'on est immigré", ajoute cet expert.
Le scandale des fraudes aux aides sociales a en partie ébranlé la foi des habitants du Minnesota dans leur modèle social tout en créant des dissensions entre la diaspora somalienne, qui représente environ 80 000 individus - et le reste de la population, souligne le New York Times.
Politiquement, "c'est un sujet sensible pour le gouverneur Tim Walz, accusé d'avoir tardé à voir l'ampleur du scandale parce que la diaspora somalienne - dont la plupart des membres sont aujourd'hui citoyens américains - représente un soutien politique fort pour le parti démocrate", explique Andrew Gawthorpe.
Opportunisme politique de Donald Trump
Alors certes, cette fraude, malgré les sommes importantes en jeu, ne concerne qu'une fraction de la diaspora somalienne, qui est elle-même une communauté très minoritaire au niveau national. Mais qu'importe pour Donald Trump et la frange la plus droitière de sa base électorale.
Faire d'exemples très particuliers des généralités représente le modus operandi traditionnel du président américain en matière d'immigration, reconnaissent les experts interrogés par France 24. "Il fait ça depuis ses débuts et c'est typique des politiciens d'extrême droite", souligne Jérôme Viala-Gaudefroy.
"Cela a commencé dès 2015 avec ses premiers discours où il dénonçait les Mexicains, assimilés à des violeurs", note Richard Hargy, spécialiste de la politique américaine à la Queen's University Belfast.
Plus récemment, il y a eu les Haïtiens accusés de manger des chiens et chats dans l'Ohio. Des exemples qui reposent sur des rumeurs et des théories du complot. D'où l'attrait des attaques contre la minorité somalienne qui reposent, elles, sur un vrai scandale.
Ce qui n'a pas empêché des complotistes de rajouter leur grain de sel. Le média ultraconservateur City Journal avance que l'argent détourné par les Américains d'origine somalienne aurait ainsi servi à financer les rebelles jihadistes somaliens des Shebab. "Une thèse qui ne s'appuie sur rien de concret", confirme Andrew Gawthorpe.
Donald Trump plus à l'aise sur le terrain du "racisme"
En outre, "le ciblage de la communauté somalienne est politiquement judicieux pour Donald Trump", assure Richard Johnson. D'abord parce qu'Ilhan Omar, une des figures les plus médiatiques de l'aile gauche du parti, en est issue. Donald Trump s'en est déjà pris à elle par le passé : "Elle sert de repoussoir pour une partie de l'électorat Trump car elle représente tout ce qu'ils détestent : une femme de couleur qui n'a pas la langue dans sa poche, et qui est musulmane. C'est une manière pour Donald Trump de désigner ‘l'ennemi de l'intérieur'", souligne Richard Johnson.
S'en prendre à la diaspora somalienne est d'autant plus attractif "qu'il s'agit d'une petite minorité dont le poids politique est très faible" au niveau national, poursuit cet expert.
Le moment est également bien choisi pour remettre les pieds dans le plat migratoire. "Il n'est pas au mieux dans les sondages, et la politique migratoire est un sujet fédérateur pour son camp. Donald Trump y est aussi plus à l'aise que sur les questions économiques", résume Richard Hargy.
D'où le ton particulièrement outrancier utilisé pour dénoncer la communauté somalienne. "Il veut entraîner ses détracteurs sur le terrain des accusations de racisme, car il sait que c'est le meilleur moyen de souder son électorat derrière lui pour le défendre", souligne Richard Johnson.
Le risque, d'après les experts interrogés, est que plus sa popularité va s'éroder sur les questions d'économie et autres, plus il sera tenté par la surenchère anti-immigrés. Pour ces minorités, le temps risque de paraître très long jusqu'aux élections de mi-mandat de 2026.
