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Un convoi de 10 000 musulmans quitte Bangui en direction du Tchad

Sous les huées d'une foule en colère, 10 000 musulmans ont quitté Bangui dans un imposant convoi, vendredi matin. Les véhicules, lourdement chargés et à la merci des pillards, ont pris la direction du Tchad.

La haine interreligieuse continue à déchirer Bangui. Alors que la capitale centrafricaine se vide peu à peu de ses musulmans, étrangers comme centrafricains, un important convoi de civils a pris la direction du Tchad, vendredi matin. "Nous avons vu plusieurs centaines de véhicules quitter Bangui. Il y en avait tellement qu’on ne pouvait pas les compter", raconte Peter Bouckaert, directeur des situations d'urgence à Human Rights Watch, joint par France24.com. Selon lui, il y avait "au moins 10 000 personnes" venues des quartiers musulmans de Bangui, dont PK5, mais aussi "la totalité de la communauté musulmane de Mbaïki", ville située à une centaine de kilomètres au sud-ouest de la capitale.

En mission en Centrafrique depuis le 3 décembre, Jérôme Delay, chef de la photo Afrique à Associated Press, confirme à France24.com avoir assisté à "un exode massif de populations musulmanes", vendredi matin. "Un convoi immense d’environ 10 000 personnes" qui lui a rappelé "de très mauvais souvenirs" de reportages en ex-Yougoslavie.

La CPI ouvre un "examen préliminaire" des crimes "graves"

La Gambienne Fatou Bensouda, procureur général de la Cour pénale internationale (CPI), a annoncé vendredi l'ouverture d'un "examen préliminaire", préalable à une enquête, sur des crimes "graves" commis en Centrafrique, pays ravagé par la violence et les tueries intercommunautaires.

"Mon bureau a pris connaissance de nombreux rapports faisant état d'actes d'une extrême brutalité commis par divers groupes et de la commission de crimes graves susceptibles de relever de la compétence de la CPI", a-t-elle déclaré dans un communiqué vidéo mis en ligne sur internet.

Une escorte assurée par des soldats tchadiens

Le convoi "était escorté par des soldats des forces spéciales tchadiennes", raconte Peter Bouckaert. "Ce n’étaient pas des soldats de la Misca [la force africaine, NDLR] mais des unités d’élite lourdement armées", précise-t-il. Sans pouvoir confirmer qu’ils faisaient partie des forces spéciales, Jérôme Delay affirme avoir déjà rencontré certains de ces éléments tchadiens à Gao, au Mali, en 2013.

Tous ces véhicules, des centaines de camions, taxis, 4x4, voitures ainsi qu’une vingtaine de camions de l’armée tchadienne, prenaient la direction de la frontière tchadienne, via Sibut et Kaga-Bandoro. Un trajet long de plus de 600 kilomètres impossible à accomplir pour des véhicules vieillissants. Plusieurs camions ont rendu l’âme avant même d’avoir quitté Bangui, rapporte Peter Bouckaert, obligeant les forces africaines de la Misca présents sur place, à tirer en l’air pour éloigner les pillards qui s’en prenaient aux biens des musulmans sur le départ.

"Il est criminel de dire que la situation se stabilise à Bangui"

Au bord de la route, une foule déchaînée. Peter Bouckaert et Jérôme Delay racontent avoir constaté un nouveau lynchage. Un homme vraisemblablement tombé d’un des nombreux camions traversant la ville en direction du nord a été "massacré" : la gorge tranchée, le pénis, un pied et une main sectionnés. Des "scènes de terreur absolue" qui révoltent Peter Bouckaert, deux jours après un autre lynchage survenu après une cérémonie officielle. "Il est criminel de dire que la situation se stabilise quand des gens se font lyncher dans les rues", affirme-t-il, en écho à l’interview accordée au journal "Le Parisien" par Charles Malinas, ambassadeur de France à Bangui. "Il est évident que le degré de violence est toujours aussi intense et que la sécurité n’est pas vraiment assurée à Bangui", confirme Jérôme Delay.

Il y a deux jours, à l'issue d'une cérémonie officielle où la présidente Catherine Samba-Panza avait célébré la renaissance d'une armée nationale, des militaires centrafricains en uniforme ont lynché à mort un homme suspecté d'être un soldat rallié à l'ex-rébellion Séléka. Une enquête aurait été ouverte à Bangui, selon une annonce faite par le ministre centrafricain de la défense, le général Thomas-Théophile Timangoa, devant le Conseil national de transition. Reste à savoir s’il y aura bien des "sanctions exemplaires", telles que réclamées jeudi par l’ONU et la France. "Avant de pouvoir parler de réconciliation, le massacre doit être arrêté", estime Peter Bouckaert.