Ex-ministre de l’Industrie du gouvernement Ennahda, le nouveau Premier ministre tunisien a bâti sa carrière dans le milieu des affaires. Sans appartenance politique affichée, il doit tenter de mettre un terme à trois ans de crise politique.
Il est le nouveau visage de l’exécutif tunisien. Après plusieurs semaines d’imbroglio politique, Mehdi Jomaâ a été chargé, vendredi 10 janvier, de former un nouveau gouvernement par le président Moncef Marzouki. "Je ferai de mon mieux, mais je ne vais pas faire de miracles, je ferai tous les efforts, tout comme mon équipe", a assuré Mehdi Jomaâ lors d’un bref discours télévisé de cinq minutes. Une équipe que le chef du gouvernement a promis "indépendante et neutre, n'ayant aucune animosité envers un courant ou un parti".
Choisi le 14 décembre à l’issue d’un accord entre les islamistes d’Ennahda et l’opposition laïque, Mehdi Jomaâ n’est pas une personnalité du sérail politique. Ce technocrate, apparu sur la scène tunisienne le 13 mars 2013 lors de son entrée au gouvernement d’Ali Larayedh, a fait ses armes dans le monde des affaires. Ingénieur, le quinquagénaire a été formé par l'École nationale d'ingénieurs de Tunis. En 1988, à l’issue de sa formation, il obtient un diplôme supérieur de mécanique (DEA), selon sa biographie officielle.
Mehdi Jomaâ entame alors une carrière dans le privé qui l'amènera à travailler pour les géants de l’industrie européenne. Il est nommé directeur d'une division d'Hutchinson, une filiale du géant français Total spécialisée dans l'aérospatiale et dont les principaux clients sont des groupes comme EADS, Airbus ou encore Eurocopter. Un atout qui s’est révélé précieux pour son portefeuille de l’industrie.
L'ami de Paris et Berlin
Dès son arrivée au gouvernement d’Ennahda, le ministre de l’Industrie a œuvré auprès des décideurs européens pour qu’ils investissent en Tunisie. Hérault des énergies renouvelables, Mehdi Jomaâ a également milité pour la mise en place d’une politique de développement des hydrocarbures non conventionnels comme le très controversé gaz de schiste. "L’idée c’est d’y aller. Mais il faut choisir le moment opportun", a ainsi affirmé en novembre lors d’un dîner-débat le ministre de l’Industrie, rapporte le site Nawaat.
D’aucuns lui reprochent ainsi d’avoir lancé un débat national sur l’énergie sans prendre en compte l’avis des Tunisiens, franchement hostiles au gaz de schiste, mais surtout d’offrir aux Européens sur un plateau d’argent le gâteau tunisien de l’énergie renouvelable.
"Tout d’abord, ce n’est pas un seul morceau ! Donc, il y en aura pour tout le monde ! […] Avec les deux [la France et l’Allemagne, NDLR], on avance à pas sûrs. Et il y en a pour d’autres !", a assuré le ministre de l’Industrie lors d’une interview accordée en juillet 2013 à la chaîne de télévision française 7pm TV. Une bienveillance envers la France et l’Allemagne qui expliquerait selon le journal "Le Monde" que Paris et Berlin aient "promu" la candidature de l’outsider Jemaâ au poste de chef du gouvernement.
Autre ombre au tableau, sa gestion du rapport de la Cour des comptes sur la corruption et les malversations dans le secteur gazier. Bien que le scandale ait éclaboussé le ministère de l’Industrie avant sa prise de fonction, Medhi Jemaâ a laissé en poste des personnalités visées par cette affaire. En décembre, une cinquantaine de députés ont même lancé une pétition afin de demander l’audition en session plénière à l’Assemblée nationale du futur chef de gouvernement. Les parlementaires voulaient interroger Mehdi Jemaâ sur la corruption financière et administrative dans les secteurs pétrolier et de l'extraction de minerais avant et après son entrée en fonction, rapporte la radio Mosaïque FM.
Des dossiers brûlants
S’il est décrié par une partie de l’opposition tunisienne, notamment Issam Chebbi du Parti républicain qui a déploré en décembre le choix "d’un membre du gouvernement sortant", le très discret nouveau Premier ministre a pris soin d’éviter toute polémique depuis l’annonce de sa nomination il y a un mois. Un exercice d’équilibriste qu’il ne pourra certainement pas poursuivre longtemps tant le climat social est tendu.
Malgré la suspension d’une série de nouvelles taxes sur les transports, les protestations, parfois violentes, se poursuivent dans le pays, en particulier dans les régions intérieures déshéritées, moteurs de la révolution de 2011. Outre la crise économique, le Premier ministre va devoir gérer une situation sécuritaire épineuse en raison de l’essor des groupes djihadistes armés. Auteurs de plusieurs attaques meurtrières, ils sont notamment soupçonnés d’avoir assassiné l’opposant Mohamed Brahmi le 25 juillet 2013.
Mehdi Jemaâ bénéficiera-t-il d’un état de grâce ? Si l’on en juge par un sondage réalisé en décembre 2013, le nouveau Premier ministre semble jouir d’un a priori favorable de la population tunisienne. Interrogés lors d’une enquête réalisée par le bureau Emrhod Consulting, 52% des Tunisiens sondés ont considéré que sa nomination était une bonne chose, contre 38% qui ne se prononcent pas. Seul 10% de l’échantillon a estimé qu’il s’agissait d’un mauvais choix.