Mentor de son neveu, le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, Jang Song-thaek a été exécuté jeudi pour "trahison". Tombé en disgrâce plusieurs fois, ce personnage influent du régime avait pourtant toujours réussi à revenir sur le devant de la scène.
Presque deux ans après son accès au pouvoir, à la mort de son père Kim Jong-il, le jeune Kim Jong-un a enclenché une vaste purge au sein de l’appareil dirigeant nord-coréen. Le chef suprême au visage poupin n’a pas hésité à se débarrasser de Jang Song-thaek, son oncle et mentor, qui l’avait guidé depuis son arrivée à la tête du pays. Arrêté soudainement la semaine dernière, le numéro deux du régime a été jugé jeudi 12 décembre, condamné à mort et exécuté dans la foulée.
"L’accusé Jang a réuni des forces nuisibles, formé et dirigé depuis longtemps une faction et commis d’horribles crimes en tentant de renverser l’État", a ainsi annoncé l’agence de presse officielle nord-coréenne KCNA. "Jang et ses partisans ont commis des actes criminels défiant l’imagination et ils ont causé un tort énorme à notre parti et à la révolution".
Exécuté au terme d’un procès express, Jang Song-thaek était pourtant l’un des hommes les plus influents du pays. Après la mort de Kim Jong-il, il avait joué un rôle de premier plan dans la transmission du pouvoir à son jeune fils. Il était également vice-président de la commission de la défense nationale et siégeait au bureau politique du parti des travailleurs.
Un Roméo et Juliette à la nord-coréenne
Ce n’était pourtant pas la première disgrâce pour cet homme de 67 ans, mais il s’en était jusque-là toujours bien sorti. Dans les années 60, Jang Song-thaek s’était déjà attiré les foudres du pouvoir en jetant son dévolu sur Kim Kyong-hui, la fille du leader de l'époque Kim Il-sung, le premier de la dynastie. Ce dernier l’avait même renvoyé de l’université puis expédié loin de la capitale pour tenter d’empêcher cette union. Mais appuyé par le frère de l’élue de son cœur, le futur dirigeant Kim Jong-il, le jeune étudiant avait finalement atteint son objectif.
"Sans le soutien de Kim Jong-il, il n’aurait jamais pu épouser Kyong-hui. Au-delà de ce qui peut apparaitre comme une anecdote romantique, cet épisode a forgé les liens entre les deux hommes", a ainsi expliqué Juliette Morillo, spécialiste de la Corée, dans les pages du journal La Croix. Le couple aura une fille, Chang Kum-song, qui se serait suicidée en 2006 à Paris, ses parents s’opposant à son mariage avec un homme d'un rang social moins élevé.
Après avoir intégré le parti des travailleurs au début des années 70, Jang Song-thaek a réussi au fil des années à se hisser jusqu’aux plus hautes instances du pouvoir. Mais en 1978, ce spécialiste de l'économie a été victime d'une première purge politique. The Economist raconte qu'il a "été envoyé dans une aciérie pendant deux ans pour être rééduqué par le travail ". Après un retour en grâce, Jang Song-thaek a de nouveau été mis à l’écart en 2003 et placé en résidence surveillée pour avoir, selon Juliette Morillot, évoqué "trop ouvertement son soutien au fils ainé Kim Jong-nam" pour la succession de Kim Jong-il.
"Il n'avait plus besoin de lui"
Mais encore une fois, l’apparatchik a réussi à revenir progressivement sur le devant de la scène à partir de 2006. Il est apparu régulièrement au côté de son beau-frère lors de voyages officiels et a même assuré l’intérim du pouvoir lors de l’attaque cérébrale de Kim Jong-il en 2008. Cette position a fait de lui l’un des successeurs potentiels du chef suprême, mais c’est finalement le troisième fils de ce dernier, Kim Jong-un, qui a été choisi à sa mort en décembre 2011.
Toujours influent, Jang Song-thaek a toutefois assuré la continuité politique, devenant un mentor pour le nouvel homme fort du régime. Signe de son omniprésence, en août 2012, c'est lui qui a rencontré le président chinois Hu Jintao à Pékin pour conduire des négociations économiques.
Sa soudaine éviction laisse aujourd’hui imaginer que le neveu a fini par prendre ombrage de son puissant oncle. "On peut penser que Kim Jong-un se sentait menacé par Jang Song-thaek, partie prenant dans quasiment tous les aspects politiques et militaires du pays. L’oncle représentait une autre source de pouvoir et donc une menace", a ainsi estimé auprès de l’AFP Abraham Denmark, expert du bureau national de la recherche asiatique.
"L’autre interprétation, c’est que Kim Jong-un n’avait plus besoin de lui et ne voulait pas voir son pouvoir dilué. Mais on ne peut faire que des suppositions, étant donné la nature du régime", a ajouté cet expert.
Alors que Jang Song-thaek a été exécuté dès l’annonce de sa condamnation, le sort de son épouse Kim Kyong-hui reste en suspens. Personnage central du régime depuis plus de 40 ans, la petite sœur de Kim Jong-il serait malade depuis plusieurs mois. Selon Associated Press, ses liens directs avec le fondateur du régime Kim Il-sung et son état de santé font penser qu’elle ne devrait pas partager le destin tragique de son époux.