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Liban : pourquoi le Hezbollah ne riposte pas aux frappes israéliennes
Un an jour pour jour après le cessez-le-feu conclu entre l’État hébreu et le Hezbollah, l’armée israélienne garde le contrôle de cinq positions dans le sud du Liban et poursuit ses frappes contre le parti pro-iranien. Le 23 novembre, elle a éliminé son "chef d'état-major" dans la banlieue sud de Beyrouth. Affaibli militairement et sous pression pour désarmer, le Hezbollah se retient jusqu'à présent de riposter. Décryptage.
Funérailles de cinq membres du Hezbollah tués par des frappes israéliennes, à Nabatieh, dans le sud du Liban, le 2 novembre 2025. © Mohammad Zaatari, AP

Le 27 novembre 2024, un accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah entrait en vigueur, mettant fin à deux mois de guerre et plus d’un an d’hostilités transfrontalières déclenchées par le parti pro-iranien au lendemain des attaques du Hamas du 7-Octobre.

Négocié par les États-Unis et la France, l’accord reposait sur trois principes majeurs : la fin des hostilités, le retrait des forces israéliennes du sud du Liban et le retrait du Hezbollah de cette même zone, précisément au nord du fleuve Litani, au profit de l’armée libanaise.

Mais un an après, l'accord est fragilisé par des violations répétées de ses termes. Entre la poursuite des opérations et l'intensification ces dernières semaines des frappes de l’armée israélienne, visant selon elle des membres et des structures du Hezbollah, et son maintien sur cinq positions fortifiées sur le territoire libanais, et le refus catégorique de la formation chiite de démanteler son arsenal, la situation reste hautement inflammable. Selon le ministère de la Santé libanais, depuis le cessez-le-feu, plus de 330 personnes ont été tuées et 945 autres ont été blessées par des bombardements israéliens.

Toutefois, jusqu’ici, le Hezbollah, sorti extrêmement affaibli militairement et politiquement du dernier conflit avec l’État hébreu, entre l’élimination de son chef adulé Hassan Nasrallah et de la quasi-totalité de son commandement militaire, les conditions mêmes du cessez-le-feu et la chute du régime de son allié Bachar al-Assad en Syrie, s’est gardé de répliquer aux frappes israéliennes.

Le 23 novembre, il a perdu dans une frappe israélienne sur la banlieue sud de Beyrouth son nouveau "chef d’État-major", Haïtam Ali Tabataï, chargé de reconstituer ses forces… Signe que les renseignements israéliens parviennent toujours, malgré les précautions prises depuis la mort de Hassan Nasrallah et de son successeur désigné, Hachem Safieddine, à percer son appareil sécuritaire.

Piège israélien ?

D’aucuns se demandent pour quelles raisons la formation désormais dirigée par Naïm Qassem, plus idéologue que chef de guerre, fait profil bas. A-t-elle encore les capacités de riposter ? Est-elle en train de reconstituer patiemment ses stocks de projectiles ? Ou se retient-elle de tomber dans un piège destiné à l’entraîner dans une nouvelle guerre ouverte qui pourrait sceller son sort ?

"Si le Hezbollah ne répond pas aux attaques israéliennes, c’est parce qu'il est parfaitement conscient des rapports de force actuels, estime Karim Émile Bitar, enseignant à Sciences Po Paris et ancien doyen de l’Université Saint-Joseph à Beyrouth. Il sait aussi que le peuple libanais ne supporterait plus une nouvelle guerre, que sa propre base est aujourd'hui prise à la gorge par des problèmes sociaux-économiques".

"Le parti chiite sait surtout que toute velléité de riposte pourrait conduire Israël non seulement à ordonner à reprendre ses attaques pour le détruire, mais éventuellement à aller plus loin, pour rogner les ailes de Téhéran, poursuit-il. Parce que Benjamin Netanyahu aurait voulu aller plus loin [lors de la guerre de 12 jours, en juin, NDLR] et faire tomber la République islamique iranienne si Trump ne s'y était pas fermement opposé... Or, l'Iran souhaite en priorité absolue préserver son régime".

Un avis que partage Ghassan Hajjar, directeur de la rédaction du journal libanais An-Nahar. "Ayant intérêt à la guerre, Benjamin Netanyahu essaie de piéger le Hezbollah en le poussant à réagir aux opérations israéliennes afin de l'entraîner dans une guerre, estime-t-il. Étant convaincu que l'État libanais ne peut pas désarmer le parti, Israël pense que cet arsenal ne peut être éliminé que dans le cadre d’un nouveau conflit."

Des informations relayées dans les médias locaux font état de tensions internes entre la direction incarnée par Naïm Qassem, plus réservée sur une éventuelle riposte, et l’aile dure du Hezbollah, plus va-t-en-guerre et opposée à toute idée de désarmement.

"L'aile dure Hezbollah est incarnée essentiellement par ses cadres militaires formés en Iran, proches de Téhéran, alors que les députés libanais du Hezbollah, du moins un grand nombre d'entre eux, sont sur une ligne plus pragmatique parce qu'ils connaissent les réalités locales, souligne Karim Émile Bitar. Ils savent qu'aujourd'hui le Hezbollah a perdu une grande partie de ses alliés libanais, notamment dans les communautés sunnites et chrétiennes, qu'il ne peut plus se permettre de se comporter avec la même hubris, la même arrogance, ni de jouer solo comme dans le passé".

Cette distinction entre ligne dure et modérée "est peut-être un peu artificielle", juge-t-il, car "une fois que la décision est prise, tout le monde s'y range".

"J’ignore s’il y a vraiment un conflit interne sur la question de riposter ou non, mais en restant réaliste, il est évident qu’il n’est actuellement pas possible pour le Hezbollah de répliquer, répond de son côté Ghassan Hajjar. Il peut certes dire qu’il le fera au bon moment et au bon endroit, ou tirer un missile vers Israël, mais ce n'est pas ça riposter. De vraies représailles impliqueraient une guerre et des combats pendant des jours ou des semaines, voire même une guerre ouverte."

Or, selon lui, le Hezbollah "ne dispose ni de la capacité militaire, ni de la logistique et encore moins de la couverture nécessaire, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du pays, pour une telle guerre. Il doit pratiquement s'abstenir indéfiniment de riposter."

"Le Hezbollah reste présent, malgré tous les coups qu'il a subis, insiste Ghassan Hajjar. Mais il n'est certainement plus aussi fort qu'il l'était avant la guerre qu'il a lui-même lancée pour soutenir Gaza et, contrairement à ce qu’il prétend, il est impossible qu’il ait pu en un si court laps de temps avoir reconstitué ses forces."

"Est-ce que le Hezbollah peut reconstituer ses forces ? Difficilement, abonde Karim Émile Bitar, puisqu’il aurait perdu, selon les analystes militaires israéliens, 70 à 80 % de ses capacités militaires et ses canaux d'approvisionnement suite à la chute du régime syrien, tandis que financièrement, les États-Unis sont en train de serrer la vis en surveillant les transferts d'argent, les sociétés, les réseaux parallèles, l'économie underground, mais aussi les cryptomonnaies."

Désarmer au risque de perdre sa raison d'être ?

Donc "tôt ou tard", le Hezbollah "se verra contraint de revenir à un certain réalisme politique", précise-t-il, même si le parti, malgré les pressions internes et internationales pour s’en défaire, refuse catégoriquement de remettre ses armes à l’État libanais, qu'il accuse de vouloir de "livrer" le pays à Israël en poussant au désarmement.

Ces armes, officiellement tournées vers Israël, permettent au Hezbollah de conserver toute son influence et sa mainmise sur le Liban. Et au-delà de la confrontation avec l’État hébreu et des slogans guerriers, la question de cet arsenal a une valeur hautement symbolique.

"Si le Hezbollah refuse de rendre ses armes, c’est aussi parce que, historiquement, dans l'inconscient collectif de la communauté chiite libanaise, sa montée en puissance et la fin de sa marginalisation politique et sociale étaient concomitantes avec la prise des armes, explique Karim Émile Bitar. Et cela a commencé avant son émergence dans les années 1980, la première grande manifestation de chiites en armes ayant eu lieu en 1974, donc huit ans avant l'invasion israélienne du Liban qui va donner naissance au Hezbollah."

Karim Émile Bitar indique que pour beaucoup de chiites libanais, "il est hors de question de revenir à l'époque antérieure, où ils étaient traités avec condescendance et paternalisme par les autres communautés libanaises". Pour eux, "cet arsenal militaire est une garantie qu'ils ne seront pas de nouveau relégués dans un rôle subalterne".

Hassan Nasrallah lui-même, rappelle-t-il, avait eu une formule révélatrice après la guerre contre Israël de 2006, en disant "que le temps où nous [la communauté chiite] étions les cireurs de chaussures est révolu."

S'il remet ses armes, le Hezbollah perdrait-il sa raison d'être ? "Tout dépendra de la façon dont ces armes seront remises, de l'attitude des autres communautés libanaises, souligne Karim Émile Bitar. Peut-être que le Hezbollah demandera un prix politique, c'est-à-dire un certain nombre de garanties quant au rôle politique de la communauté chiite."

Il ne pourra plus peser autant sur la politique libanaise sans ses armes, même si cela ne veut pas dire pour autant qu'il perdra le soutien d'une grande partie des chiites, ajoute Karim Émile Bitar.

"Il dispose toujours d'une base de soutien significative en raison d'un embrigadement idéologique qui perdure depuis 40 ans, en raison des réseaux clientélistes, mais également du fait que les politiques israéliennes, tellement maximalistes, tellement jusqu'au-boutistes, viennent renforcer cet esprit de corps, cette solidarité mécanique au sein de la communauté chiite."

Et de conclure : "Le Hezbollah est aujourd'hui à la croisée des chemins. Il faut espérer que la sagesse l'emportera et qu'il acceptera de revenir dans le giron de l'État libanais et que ceux qui, en son sein, ont compris que les politiques pro-iraniennes du passé avaient été extraordinairement contre-productives."