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"Le Black Friday a gagné" : en France, les initiatives responsables peinent à s'imposer
Journée mondiale sans achat, "Green Friday", "Jours tricolores"... Une poignée d'initiatives tentent de faire de la résistance face au raz-de-marée du "Black Friday". Mais malgré une certaine prise de conscience écologique, l'opération commerciale, fixée au dernier vendredi du mois de novembre et importée des États-Unis, ne cesse de gagner du terrain en France.
Un piéton passe devant un magasin pendant le Black Friday à Paris, le 25 novembre 2022. © Emmanuel Dunand, AFP

Impossible d'y échapper : électronique, mode, jeux vidéo, jouets, automobile, électroménager... Les promotions du "Black Friday" s'affichent partout sur Internet et dans les magasins, à l'approche du vendredi 28 novembre, malgré l'impact écologique et social délétère de cette grand-messe de la consommation.

En France, l'événement importé par Amazon en 2010 ne cesse de gagner du terrain. Sept Français sur dix prévoient d'y participer, selon une étude du cabinet Boston Consulting Group (BCG). Ils y consacreront cette année un budget moyen de 345 euros, en augmentation par rapport aux années précédentes..

Créé aux États-Unis dans les années 1950 pour marquer le coup d’envoi des achats de Noël, le "Black Friday" permet aux enseignes et distributeurs d'afficher des promotions spectaculaires, provoquant des achats compulsifs et inutiles, selon de nombreux collectifs et ONG de défense de l'environnement.

Fer-de-lance de la résistance au vendredi noir, le mouvement "Green Friday" (vendredi vert) tente depuis 2017 de sensibiliser les consommateurs aux conséquences de leurs achats. Cette année, le collectif d'associations et d'entreprises a lancé une campagne intitulée "la vérité sur les prix barrés".

"On veut montrer que derrière ces prix barrés, il y a la réalité des coûts de production, la réalité des coûts humains et du coût environnemental', explique Julien de Saint Phalle du Réseau national des ressourceries, qui participe au "Green Friday". "Mais cette campagne est finalement valable toute l'année, car les consommateurs sont sans cesse assaillis de campagnes marketing extrêmement bien faites et agressives pour nous conduire à des comportements un peu irrationnels."

Des alternatives pour consommer mieux

Symbole de cette frénésie d'achats : l'industrie textile, dont la production par personne a augmenté de 120 % entre 1975 et 2018, selon Oxfam. Une tendance à la hausse désormais alimentée par l’ultra-fast-fashion et ses vêtements toujours moins chers répondant à des cycles toujours plus courts. 

Autre problème soulevé par le "Green Friday" : les promotions affichées ne sont pas toujours de bonnes affaires. En 2024, la répression des fraudes a constaté qu'un tiers des établissements contrôlés profitaient du "Black Friday" pour proposer de faux rabais à leurs clients. Enfin, l'événement est "une aubaine pour les contrefacteurs", selon l'Union des fabricants (Unifab), qui pointe qu'en 2024 les douanes ont saisi 21,5 millions de contrefaçons, dont plus de 30 % dans des petits colis achetés en ligne.

Pour contrecarrer l'événement, certains prônent la décroissance et l'abstinence à travers une journée mondiale sans achat. D'autres proposent des événements concurrents pour privilégier l'économie du partage, l'échange, le recyclage ou encore le "Made in France".

Exemple avec les "Jours tricolores", réunissant 200 marques françaises. Cette opération commerciale se présente comme une alternative responsable au "Black Friday", en mettant en avant des productions locales et artisanales.

"On fait jusqu'à -50 % en rognant forcément sur notre marge. On ne vend pas à perte, mais on ne gagne quasiment pas d'argent", assure Pierre-Charles Joubert, dirigeant de Comptoir des industries françaises, une enseigne qui distribue exclusivement des produits fabriqués en France.

"Je veux que les gens comprennent qu'acheter français, ce n'est pas plus cher et en plus cela préserve nos entreprises, nos emplois et notre planète", ajoute cet ancien de la grande distribution, bien conscient de la difficulté à s'opposer à la "machine marketing" du "Black Friday".

D'ailleurs, les entreprises françaises qui se positionnent contre l'opération semblent de moins en moins nombreuses. En 2024, une vingtaine d'acteurs majeurs de l'économie du partage comme Home Exchange et le loueur dématérialisé Getaround avait lancé un "Share Friday", invitant à des pratiques de consommation plus responsables. Une opération de communication qui n'a pas été renouvelée cette année.

Une normalisation du "Black Friday"

Globalement, peu d'entreprises majeures boudent le "Black Friday" en 2025. Parmi les derniers résistants, on retrouve la Camif, le spécialiste du meuble fabriqué en France et en Europe, ou encore Électro Dépôt, qui vante un "comme d'hab Friday" et des prix bas toute l'année.

"Il y a une forme de normalisation du Black Friday", observe Julien de Saint Phalle, qui constate une baisse du battage médiatique autour de l'opération. "Là où il y avait quelque chose de disruptif à montrer son opposition à travers un message marketé, on voit maintenant que l'événement s'est malheureusement banalisé."

Ces deux dernières années, plusieurs enseignes françaises, qui affichaient leur rejet du "Black Friday", comme Emoi Emoi, Vestiaire Collective ou encore Le Slip Français, ont changé leur fusil d'épaule face à la pression des consommateurs et de la concurrence en ligne.

C'est en effet sur le e-commerce que le "Black Friday" est roi. En 2024, selon les chiffres du groupe BPCE, plus d'un achat sur trois a été réalisé en ligne pendant la "Black Week", contre un sur cinq le reste de l'année. Le panier moyen en ligne était alors de 81 euros, contre 57 euros en magasin.

"Le Web est construit autour de la promotion, car les algorithmes de Google ou Meta les mettent systématiquement en avant. C'est devenu incontournable", justifie Julien Sylvain, fondateur du fabricant de matelas Tediber, qui participe au Black Friday depuis 2024 après avoir longtemps refusé de s'y plier.

Une absence de promotion d'autant plus pénalisante que l'entreprise, fondée en 2015, réalise 85 % de son chiffre d'affaires de près de 50 millions d'euros en ligne. Pour Tediber, novembre représente désormais l'un des plus gros mois de l'année.

"Je pense que le Black Friday a gagné", reconnaît Julien Sylvain. "Cependant, il y a de nombreuses manières d'aborder cette période. Céder à des pulsions pour des produits qui ne sont pas utiles, c'est effectivement absurde. Mais cela peut aussi devenir un bon moment pour acheter des produits qui coûtent cher. Tout le monde fait un effort commercial, et au final cela penche en faveur du consommateur."