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En Guinée-Bissau, récit d'un coup d'État teinté de zones d'ombre
Un coup de force trois jours après des élections sous tension, un chef de l'État annonçant en direct sa chute aux médias, un plan fomenté par des trafiquants de drogue... Retour sur la folle journée de mercredi, qui a vu la Guinée Bissau replonger dans l'instabilité.
Les rues de la capitale, Bissau, en Guinée-Bissau, le 26 novembre 2025. © Darcicio Barbosa, AP

Il est environ midi, mercredi 26 novembre, à Bissau, petite capitale portuaire qui donne sur l'océan Atlantique. La ville d'un demi-million d'habitants semble, comme à son habitude, endormie. Mais derrière cette apparente quiétude, la tension est palpable : les résultats des élections présidentielle et législatives sont attendus d'une minute à l'autre.

Le président sortant, Umaro Sissoco Embalo, revendique la victoire tout comme Fernando Dias da Costa, challenger par défaut en l’absence du représenant du principal parti d'opposition, l’ex-Premier ministre Domingos Simoes Pereira.

Peu après l'annonce des premiers résultats, des coups de feu retentissent aux abords du palais présidentiel, édifice datant de l'époque coloniale portugaise dont la façade donne sur la vaste place des héros nationaux. Paniqués, les passants courent se mettre à l'abri. Mais l'agitation retombe rapidement. Des militaires sont déployés le long de la principale artère qui mène au siège du pouvoir.

"Le Haut-Commandement militaire pour le rétablissement de la sécurité nationale et de l’ordre public a décidé de destituer immédiatement le président de la République et, jusqu’à nouvel ordre, de fermer toutes les institutions de la République de Guinée-Bissau", annonce en fin d'après-midi le général Denis Ncanha, chef de la maison militaire du palais de la République, un homme de l'intérieur.

Fin octobre, l'armée avait annoncé avoir déjoué une "tentative de subversion de l'ordre constitutionnel", avec l'arrestation de plusieurs officiers supérieurs.

Les confidences du président

Le haut gradé affirme avoir agi au nom de "la sécurité nationale" après la découverte d’un "plan visant à déstabiliser le pays avec l’implication des barons nationaux de la drogue", sans fournir plus de précisions.

Minée par la corruption et longtemps considérée comme un "narco-État" par l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, la Guinée Bissau est la principale zone de transit pour la cocaïne en provenance d'Amérique du Sud à destination de l'Europe.

Suspension du processus électoral, fermeture des frontières, médias réduits au silence, couvre-feu... Une chape de plomb s'abat sur le pays. Jusqu'ici, le scénario colle peu ou prou à celui des nombreux coups d'État qui ont bouleversé le paysage politique du continent africain, du Mali au Burkina Faso, en passant par le Niger. Plus inhabituelle, l'attitude du président renversé interroge.

En plein putsch, Umaro Sissoco Embalo prend la peine de joindre le journal Jeune Afrique. Il raconte que des hommes en uniforme ont fait irruption au palais alors qu’il se trouvait dans son bureau, ajoutant que le chef d’état-major général des armées, le général Biague Na Ntan, le vice-chef d’état-major, le général Mamadou Touré, et le ministre de l’Intérieur, Botché Candé, ont été arrêtés en même temps que lui.

"J’ai bien été renversé, je ne peux pas trop parler, car sinon ils vont me confisquer mon téléphone. Je suis actuellement à l’état-major", confie également le président sortant lors d'un bref échange avec France 24.

Information confirmée par un officier de l'armée auprès de l'AFP, assurant qu'Umaro Sissoco Embalo est détenu "en prison à l'état-major" par des militaires et est "bien traité".

Des arrestations et des questions

Le trouble grandit avec l'arrestation par des hommes armés des opposants Fernando Dias da Costa, qui avait revendiqué la victoire à la présidentielle, et Domingos Simoes Pereira, dont la candidature avait été écartée fin septembre par la Cour suprême. Les juges avaient estimé que son dossier avait été déposé hors délai, empêchant le PAIGC, le principal parti d'opposition, de participer au scrutin.

"Cette mise en scène vise à empêcher la proclamation des résultats des élections. Sinon, pourquoi avoir arrêté les chefs de l'opposition ? [...] Ce ne serait pas surprenant qu'ils maintiennent les chefs de l'opposition en prison et finissent par libérer Sissoco Embalo en prétendant qu'il a gagné les élections", prédit l'ancien Premier ministre Aristides Gomes et membre du PAIGC sur l'antenne lusophone de RFI.

Les putschistes vont-ils rendre le pouvoir au président sortant ? Vont-ils au contraire s'inspirer de leurs homologues de Guinée-Conakry, où le général Mamadou Doumbouya se présente en grand favori d'une élection présidentielle promise depuis quatre ans ?

En attendant, le général Horta N'Tam a été investi jeudi président de la transition et du Haut-Commandement militaire pour diriger la Guinée-Bissau pendant une année. De son côté, Bissau reprend doucement ses esprits. Les militaires quadrillent une capitale devenue fantomatique, aux enseignes fermées, routes barrées et rues quasi désertes.

Pour les Bissau-Guinéens, le récit de ces dernières 24 heures n'est pas si surprenant : le pays de 2,2 millions d'habitants, l'un des plus pauvres d'Afrique, a déjà connu quatre coups d’État et une kyrielle de tentatives de putsch depuis son indépendance en 197. Et aucun président n’est parvenu à y effectuer deux mandats.