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Le bambou, symbole ancestral, a-t-il alimenté l'incendie dévastateur de Hong Kong ?
Symbole du paysage hongkongais, le bambou se retrouve au cœur de l’enquête après l'incendie qui a fait 75 morts à Hong Kong. Les échafaudages qui encerclaient les immeubles ont-ils attisé les flammes ? Experts et autorités s'opposent sur le rôle de ces structures omniprésentes. 
Des flammes ravagent les échafaudages en bambou d'un immeuble résidentiel à Hong Kong, le 26 novembre 2025. © Tyrone Siu, Reuters

Les images ont sidéré le monde entier : d'immenses tours en rénovation, dévorées par les flammes et cernées par d'épaisses fumées. À Hong Kong, l'incendie de Wang Fuk Court, qui a coûté la vie à au moins 75 personnes selon le dernier bilan communiqué jeudi 27 novembre, relance les interrogations sur l'utilisation d'une technique ancestrale : l'échafaudage en bambou. 

Légers, bon marché, faciles à monter dans les ruelles étroites, ils font partie du décor urbain, au point d'avoir été présentés à la dernière Biennale d'architecture de Venise. Mais leur présence autour du complexe de gratte-ciels ravagé par l'incendie a rapidement été mise en cause.  

Si la cause exacte de l'incendie est encore inconnue, les autorités pointent du doigt l'utilisation de matériaux hautement inflammables. "Une fois en contact avec les flammes, les filets et les bâches se consumaient beaucoup plus vite que des matériaux aux normes", a déclaré Chris Tang, secrétaire à la Sécurité, en confirmant que la police examinait le possible rôle du bambou et la conformité des installations. Deux directeurs et un consultant de l'entreprise chargée de la rénovation ont été arrêtés. 

Une "autoroute" pour les flammes 

Pour de nombreux spécialistes, la configuration même de l'échafaudage a joué un rôle décisif. "Le bambou est un matériau inflammable, et la saison est très sèche à Hong Kong. Une fois que le feu prend, sa propagation est extrêmement rapide", explique à CNN Xinyan Huang, professeur d'ingénierie environnementale à l'université polytechnique de Hong Kong.  

Orientés verticalement, les poteaux de bambou auraient offert un vecteur naturel pour la montée des flammes. "L'échafaudage a pu servir d'‘autoroute' au feu pour se propager, et de ‘nid douillet' permettant aux braises provenant de structures adjacentes de se loger", analyse pour The Independent Anwar Orabi, maître de conférences en ingénierie de la sécurité incendie à l'Université du Queensland. 

Le bambou, symbole ancestral, a-t-il alimenté l'incendie dévastateur de Hong Kong ?
De la fumée s'élève après qu'un incendie s'est déclaré à Wang Fuk Court, un complexe résidentiel à Hong Kong, le 26 novembre 2025. © Chan Long Hei, AP

D'autres voix appellent toutefois à la prudence : le bambou, en tant que matériau naturel, n'est pas censé brûler si vite lorsqu'il est utilisé selon les règles. "Le bambou contient toujours beaucoup d'humidité, ce qui prévient le feu et le rend plus difficile à brûler. Il doit être extrêmement sec [pour s'enflammer]", souligne l'architecte Raffaella Endrizzi, professeure à l'Université chinoise de Hong Kong (CUHK), auprès du South China Morning Post. Selon elle, "la cause principale [de la propagation rapide] est le filet de protection, et non le bambou." 

Timmy So, membre de l'Association des échafaudages en bambou, abonde : "Si l'on regarde les images, le bambou reste jaune après le sinistre, preuve qu'il n'a pas atteint une température extrême", insiste-t-il. 

Pression politique et débat en plein essor 

Sur les réseaux sociaux chinois, la polémique enfle : le hashtag "Pourquoi Hong Kong utilise-t-elle encore des échafaudages en bambou ?" caracolait jeudi en tête des tendances sur Weibo, alors que la Chine continentale a interdit leur usage en 2022. 

Après le drame, le chef de l'exécutif John Lee a ordonné l'inspection de tous les échafaudages en bambou de la ville. Plus de 100 chantiers pourraient être concernés, assure le numéro deux du gouvernement de Hong Kong, Eric Chan, qui juge désormais "impératif d'accélérer la transition complète vers les échafaudages métalliques". 

Le bambou, symbole ancestral, a-t-il alimenté l'incendie dévastateur de Hong Kong ?
Des ouvriers installent des échafaudages en bambou à l'extérieur d'un immeuble dans le quartier de Sai Wan Ho à Hong Kong, le 27 novembre 2025. © Sumeet Chatterjee, Reuters

Cette transition était déjà enclenchée depuis mars, lorsque les autorités ont décidé que la moitié des installations devaient utiliser des structures métalliques, principalement pour renforcer la sécurité des travailleurs. Selon les données officielles, 23 personnes ont perdu la vie dans des accidents liés aux échafaudages en bambou depuis 2018. 

Le syndicat des échafaudeurs en bambou s'oppose fermement à l'abandon de ce matériau : pour les quelque 2 500 professionnels enregistrés à Hong Kong, une telle transition signerait la disparition de leur métier. Ce savoir-faire, transmis par les maîtres bambousiers, requiert une expertise fine : ajuster des tiges naturelles, légères et bon marché, acheminées depuis le sud de la Chine, où elles coûtent environ 15 HKD (1,75 euros) pièce, contre 280 HKD (32,30 euros) pour un tube métallique. 

"Cela permet non seulement aux entrepreneurs de proposer des prix compétitifs, mais aussi de maîtriser le coût des travaux courants, le bambou étant facile à trouver localement", rappelle le chercheur Ehsan Noroozinejad, spécialiste en construction intelligente et durable à l'Université de Western Sydney dans un article de The Conversation

Un symbole écologique et culturel 

Les professionnels rappellent également que le métal pose ses propres risques : structures plus lourdes nécessitant des grues, boulons susceptibles de se desserrer en cas de mauvais entretien. Pour eux, le problème tient au manque chronique de contrôle et de supervision des règles de sécurité, davantage qu'à la nature du matériau. 

Au-delà du coût et de la rapidité d'installation, le bambou reste aussi prisé pour ses vertus environnementales. "Contrairement aux métaux produits dans les hauts fourneaux, le bambou repousse et sa transformation en poteau nécessite peu de traitement. Son impact climatique global s'en trouve donc réduit", souligne encore Ehsan Noroozinejad.  

Le bambou, symbole ancestral, a-t-il alimenté l'incendie dévastateur de Hong Kong ?
Des ouvriers montent un échafaudage en bambou autour d'une enseigne avant son retrait à la demande du gouvernement, le 9 mars 2023 à Hong Kong. © Isaac Lawrence, AFP

Surtout, son emploi reste profondément enraciné dans la culture hongkongaise. "Les échafaudages en bambou figurent dans une célèbre œuvre d'art chinoise, ‘Le long de la rivière pendant la fête de Qingming,' peinte par Zhang Zeduan, qui vécut entre 1085 et 1145", poursuit Ehsan Noroozinejad.  

Au-delà de la construction, cette technique s'inscrit dans une tradition culturelle vivante : le bambou sert historiquement à bâtir des théâtres temporaires pour des spectacles d'opéra cantonais ou des fêtes religieuses - des structures éphémères montées et démontées rapidement selon les besoins.