L'ONU auditionne pour la première fois des évadés des camps de travaux forcés nord-coréens, où des violations des droits de l’Homme semblent pratiquées en toute impunité. Pyongyang refuse de reconnaître la compétence des experts onusiens.
Tortures, violences, exécutions sommaires, malnutrition, humiliations publiques… Pour la première fois, un panel d’experts des Nations unies s’est constitué afin d’enquêter sur les probables violations des droits de l'Homme dans les "goulags" de Corée du Nord, rapporte l’agence Reuters. Réunie à Séoul du 20 au 24 août, la commission onusienne recueille, à l’occasion d’une série d’auditions, les témoignages poignants de quelque 30 survivants ayant déserté et fui chez le voisin du sud.
“Notre approche sur cette enquête se veut impartiale et sans préjugés", assure Michael Kirby, président de la commission de l'ONU. Le panel d'experts doit également rencontrer des responsables du gouvernement nord-coréen, d’ONG et d’instituts de recherche. Une autre série d’audiences doit avoir lieu à Tokyo à la fin du mois. Le rapport final de l’ONU doit être rendu en mars 2014.
Pour les activistes des droits de l’Homme, le but est de faire tomber la dynastie des Kim afin qu’ils soient poursuivis pour crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye. Mais la commission de l’ONU affirme qu’une telle démarche n’est pour l’heure "pas appropriée", la Corée du Nord n’ayant pas ratifié les statuts permettant à la CPI d’entamer une procédure pénale.
Parmi eux, Shin Dong-hyuk qui s'est évadé en 2005. Il est à ce jour le transfuge le plus connu de la péninsule coréenne de part les nombreux témoignages qu’il a livrés sur sa douloureuse expérience. Né dans une prison appelée Camp 14 où il a résidé les 24 premières années de sa vie, ce trentenaire dit avoir été contraint, pour sa propre survie, de dénoncer sa mère et son frère dont il a ensuite dû regarder l’exécution. Il a également subi de nombreux sévices corporels et a notamment raconté à la commission de l'ONU comment il avait été amputé de l’un de ses doigts, une punition pour avoir simplement laissé tomber une machine à coudre. "Je ne savais pas du tout ce qui allait se passer… Je pensais que toute ma main allait être amputée au niveau du poignet. Alors finalement j’ai été reconnaissant qu’ils ne coupent que mon doigt", a-t-il expliqué.
Forcée de noyer son bébé dans une bassine
Et le calvaire de Shin Dong-hyuk est loin d’être un cas isolé. Jee Heon-a, une prisonnière de 34 ans, a, pour sa part, détaillé l’une des scènes atroces dont elle a été témoin pendant son incarcération. "C’était la première fois de ma vie que je voyais un nouveau-né, ce qui m’a remplie de joie. Mais soudain, un garde est entré et a ordonné à la jeune maman de noyer son propre bébé dans une bassine d’eau", a-t-elle rapporté à la commission sur un ton calme et presque placide. Et de poursuivre, après avoir pris une profonde respiration : "La mère a supplié le garde de l’épargner, mais il ne s’arrêtait pas de la frapper. Elle a pris alors son bébé dans ses bras tremblants et lui a plongé la tête dans l’eau. Les pleurs se sont arrêtés et le petit a rendu son dernier souffle. La dame âgée qui avait réalisé l’accouchement a emmené le corps du bébé, en silence, à l’extérieur".
En plus de cet épisode traumatisant, Jee Heon-a a fait état des mauvaises conditions sanitaires et notamment de la malnutrition. "Nous ressemblions tous à des animaux, les yeux enfoncés dans les orbites, nourris par des grenouilles dont nous retirions la peau", se souvient-elle. C’était l’un des seuls aliments dont elle a disposé tout au long de son incarcération.
Le Sud peu enclin à soutenir les déserteurs
Du côté de Pyongyang, le gouvernement nie tout en bloc et refuse de reconnaître l'existence même des camps de travaux forcés. Il a décliné l'invitation de l'ONU à participer aux audiences et les enquêteurs chargés d’évaluer la situation se sont vus refuser l’accès aux camps.
Face à la fin de non-recevoir de Pyongyang de coopérer avec les instances internationales, il y a peu de chances que le travail de la commission de l'ONU ait un impact sur la situation actuelle. Les experts espèrent toutefois que les auditions auront un écho international et feront prendre conscience qu’il faut agir.
Mais là encore, la partie est loin d’être gagnée. Les auditions, bien qu'ouvertes au public, n'attirent pas les foules. Seule une douzaine de personnes, incluant les journalistes, ont fait le déplacement mardi 20 août. Il faut dire que le cas des déserteurs nord-coréens est loin d’être la priorité de Séoul. La plupart d’entre eux vivent dans l’oubli, exclus de la société, sans emploi et dans des conditions extrêmement précaires, selon des données officielles. Quant aux prisonniers restés dans les camps du Nord, leur situation est tant méconnue du public qu’ils n’attirent pas plus l’attention. Pourtant, ils sont entre 150 000 et 200 000 à y être incarcérés, selon des estimations indépendantes.
L’ONU, "notre seul et dernier espoir"
Pour Shin Dong-hyuk, l'enquête de la commission de l'ONU est le seul moyen pour améliorer le respect des droits de l’Homme en Corée du Nord. “Parce que le peuple nord-coréen n’a aucun moyen de se soulever comme en Libye ou en Syrie, je pense que [le travail de la commission] est notre seul et dernier espoir. Il y a énormément de choses que les autorités vont devoir admettre", estime-t-il.
"Les Nations unies ont essayé différentes méthodes pour faire pression sur le régime nord-coréen et [le travail de la commission] ajoute certainement une pression supplémentaire. Mais les moyens mis à disposition des Nations unies ne sont que très limités", déplore toutefois Bill Schabas, professeur à l’université Middlesex au Royaume-Uni. Selon lui, seul un profond changement du paysage politique pourrait permettre des avancées concrètes sur le terrain des droits de l’Homme.
Ce que l’arrivée au pouvoir en 2012 de Kim Jong-un, troisième génération de la rigide lignée des Kim, ne semble pas indiquer, bien au contraire. Rien que pour cette année, le jeune dirigeant a passé la vitesse supérieure avec son programme nucléaire en multipliant les essais et en menaçant ouvertement les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud de les frapper.