Les autorités américaines s’intéressent de près au très opaque marché de l’aluminium. La banque Goldman Sachs est accusée d’avoir faussé le marché et donc d'avoir fait artificiellement monter les prix en exploitant une faille de la réglementation.
Depuis le début de la crise financière de 2008, la banque américaine d’investissement Goldman Sachs a été la cible de beaucoup de critiques. Elle est, entre autres, soupçonnée d’avoir aidé la Grèce à maquiller son déficit ou encore d’avoir contribué à la bulle des subprimes. Cette fois-ci, elle est accusée de faire payer plus cher pour tout ce qui est fabriqué en aluminium à commencer par les canettes de Coca-Cola et autres sodas ou encore de bière.
Une commission sénatoriale américaine a décidé, mardi 23 juillet, de se pencher sur les pratiques douteuses de Goldman Sachs et de quelques autres acteurs du marché de l’aluminium. Les élus cherchent à savoir si la banque fait artificiellement monter les prix de cette matière première pour gonfler ses profits. C’est ce que soutient MillerCoors, l’un des plus importants producteurs de canettes de bière aux États-Unis, ainsi que Coca-Cola ou encore Pepsi. L’un des cadres de MillerCoors a affirmé à la commission sénatoriale que les manigances de Goldman Sachs, et dans une moindre mesure d’autres banques comme JPMorgan Chase et Morgan Stanley, ont coûté trois milliards de dollars en 2012 aux entreprises qui ont besoin d’aluminium. Un surplus à payer qui, au final, est répercuté sur le prix du Coca-Cola et des autres boissons.
Le temps, c’est de l’argent
Pas question de se laisser dépeindre comme un maître comploteur qui ferait payer plus cher le sacro-saint consommateur de Coca-Cola. Goldman Sachs a tenté de réfuter, mardi 23 juillet, les accusations du "New York Times" et des professionnels de l’aluminium.
Dans sa réponse publiée sur son site, la banque d’investissement développe principalement deux arguments. Ce ne sont pas les entrepôts qui décident de la destination de l’aluminium stocké, mais les propriétaires, rappelle la banque. Goldman Sachs rejette ainsi la responsabilité sur les intermédiaires, essentiellement des traders en matières premières, qui gèrent ces stocks en attendant de les vendre sur le marché des métaux.
Problème : ces traders peuvent très bien trouver un intérêt à ce que les prix de l’aluminium augmentent même si, pour ce faire, ils doivent payer un loyer pendant plus longtemps.
Par ailleurs, Goldman Sachs rappelle que rien n’empêche d’acheter le métal directement aux producteurs et exploitants de mines d’aluminium. C’est, d’ailleurs, comme le souligne le "New York Times", ce que font de plus en plus d’acteurs du marché pour échapper aux files d’attente des entrepôts.
Comment Goldman Sachs peut-il fausser le marché de l’aluminium ? Tout se passe à Detroit, d’après une enquête coup de poing publiée dimanche 21 juillet dans le "New York Times". C’est là que “près d’un quart des réserves d’aluminium disponibles sur le marché sont stockées”, souligne le quotidien américain. Depuis que la banque d’investissement a acquis, en 2010, Metro International Trade Services, une société qui gère la plupart des entrepôts d’aluminium de la ville, les délais de livraison du précieux métal se sont considérablement rallongés. “Nous devons parfois attendre 18 mois pour être livrés”, se plaint MillerCoors dans son témoignage devant la commission sénatoriale. Auparavant, ce délai était d’environ six semaines. Le temps est, dans ce cas-là, littéralement de l’argent : les propriétaires de l’aluminium doivent en effet payer un loyer quotidien aux propriétaires des entrepôts, c’est-à-dire à Goldman Sachs et quelques autres. Le rallongement des délais rend, par ailleurs, le métal plus rare sur les marchés et fait donc augmenter son prix.
Goldman Sachs peut pratiquer cette rétention d’aluminium en toute légalité. La banque exploite, en fait, une faille de la réglementation du London Metal Exchange (LME - la Bourse des métaux). Les règles imposent aux propriétaires des entrepôts de faire sortir 3 000 tonnes d’aluminium par jour... mais sans préciser à qui les livrer. Metro International se les livre donc, en grande partie, à ellei-même. “C’est une valse quotidienne de camions qui transportent des barres d’aluminium d’un entrepôt à l’autre”, a constaté le "New York Times" après avoir parlé à plusieurs anciens employés de la filiale de Goldman Sachs. La banque d'investissement a contesté, mardi 23 juillet, ces accusations (voir encadré).
Goldman Sachs fixe les règles
Les fabricants de canettes et les autres acheteurs d’aluminium n’ont pas découvert ce problème avec l’enquête du "New York Times". Confrontés depuis près de trois ans au rallongement des délais, ils s’étaient déjà tournés en 2011 vers le LME. La réponse de ce marché n’a pas été jugée satisfaisante. Le LME a simplement augmenté le tonnage minimum à sortir tous les jours des entrepôts, le faisant passer de 1 500 à l’époque à 3 000. Ce qui ne change rien à la valse des camions dénoncée par le "New York Times".
La réaction prudente du LME s’explique en partie par la structure même de ce marché. Comme toutes les Bourses de matières premières, il est largement autorégulé. Les règles sont établies par le comité directeur longtemps composé, entre autres, de représentants des plus grandes banques... dont Goldman Sachs.
Mais les choses vont peut-être changer. Le LME a été vendu, en 2012, à la Bourse de Hong Kong qui a promis de s’attaquer aux problèmes des files d’attente dans les entrepôts. Reste à voir quelle va être l’ampleur des changements apportés, sachant que le nouveau patron du LME touche 1% des loyers payés aux propriétaires des entrepôts.
C’est donc une situation dans laquelle beaucoup d’acteurs ont intérêt au maintien du statu quo. Les autorités américaines peuvent, cependant, tout remettre à plat à l’automne 2013. La Réserve fédérale doit à cette date décider si elle continue de permettre aux banques, qui participent par ailleurs aux transactions sur le marché des matières premières, d’être en parallèle propriétaires d’infrastructures - comme les entrepôts - vitales au bon fonctionnement de ces marchés. Le prix du Coca-Cola est, donc, peut-être entre les mains de la Fed.