Les Yamaguchi, le gang mafieux le plus redouté du Japon, vient d’éditer un magazine destiné à chacun de ses 28 000 membres. Cette surprenante opération est élaborée au moment où le Japon se dote d’un arsenal législatif anti-mafia.
Les yakuzas aussi ont leurs moments de doute. Pour remettre du baume au cœur à ses troupes au moral déclinant en ces temps de lutte anti-mafia au Japon, le gang ultra-violent des Yamaguchi, la mafia la plus importante de l’archipel, s’est offert son propre magazine, "Yamaguchi-gumi Shinpo" ("la Gazette du clan Yamaguchi"). L’équipe éditoriale a tout donné pour tenter de détendre le mafieux en crise existentielle : elle a pensé à la rubrique haïku, ces poèmes très courts dont les Nippons sont friands, à la page loisirs agrémentée de jeux de go et de shogi (sorte d’échecs), à la page people montrant plusieurs grandes figures du gang en pleine partie de pêche…
Kenichi Shinoda, le parrain des Yamaguchi, lui-même n’a pas hésité à mettre la main à la pâte. Le personnage le plus redouté de l’organisation criminelle la plus crainte du pays a ainsi pris sa plume pour rédiger un éditorial. Tel un chef d’entreprise en période de crise, il y pousse ses membres à garder le cap tout en concédant certaines difficultés conjoncturelles traversées par l’organisation.
Le gouvernement japonais s’est en effet récemment doté d’un arsenal législatif anti-mafia, qui interdit aux membres de gangs d’ouvrir des comptes en banque et de passer des contrats immobiliers. L’année dernière, l’administration américaine s’y est mise à son tour en gelant les avoirs des Yamaguchi aux États-Unis et en rendant illégaux les contrats qu’ils passeraient sur leur territoire. En 2012, le Trésor américain a chiffré à plusieurs milliards de dollars annuels les gains des Yamaguchi aux États-Unis, principalement engrangés grâce au trafic de drogue, d’êtres humains et aux prêts d’argent.
Crise des vocations chez les mafieux nippons
Bref, les temps sont durs pour les yakuzas. D’autant que les gangs mafieux n’ont plus aussi bonne presse qu’auparavant au Japon : les Yamaguchi viennent en effet de sortir d’une sanglante guerre de territoire impliquant plusieurs autres clans, concentrée principalement sur l’île de Kyushu, dans le sud du pays. Au cours des sept ans qu’a duré le conflit, d’innocents "civils", des gens n’appartenant à aucune organisation criminelle, ont trouvé la mort. Petit à petit, les yakuzas, qui fascinaient autant qu’ils effrayaient, perdent de leur prestige. La preuve : dans les librairies, les mangas qui leurs sont consacrés sont peu à peu relayés au fond des rayons…
Il n’en fallait pas plus pour qu'un autre fléau s'abatte sur l'organisation : une crise des vocations, pour le moins mal venue en ces temps difficiles. Selon la police japonaise, le clan des Yamaguchi a perdu l’année dernière quelque 3 300 membres sur les 28 000 qu’elle compte. Kenichi Shinoda a, à ce titre, profité de sa surprenante tribune pour faire une petite piqûre de rappel - qui sonnerait presque comme un avertissement - aux "membres les plus jeunes du clan" : le respect de la discipline et la loyauté, qui, insiste-t-il, tiennent une large part dans les valeurs fondamentales des yakuzas.
Les huit pages du premier numéro de la "Gazette du clan Yamaguchi" ont été envoyées à chacun des membres de l’organisation. Seul le quotidien "Sankei Shimbun" en a obtenu une copie. Selon les médias japonais, le deuxième numéro devrait sortir "d’ici quelques mois". L’audacieuse opération de management du clan Yamaguchi, si elle ne parvient pas à soigner le vague à l’âme de ses gros bras, aura en tout cas réussi à rappeler son existence au bon souvenir des autorités… et de la presse internationale.