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Thriller haletant et soigné, "Hijacking" de Tobias Lindholm, en salles ce mercredi, rejoue le détournement d'un cargo danois par des pirates somaliens. Un exercice de style hyperréaliste qui laisse un goût de trop peu...

À force de faire la une de l’actualité internationale, les attaques de pirates somaliens dans l’océan Indien se devaient, un jour, d’être portées sur grand écran. Cet automne, aux États-Unis, est attendu "Captain Phillips", un film de Paul Greengrass avec Tom Hanks et Catherine Keener dans les rôles titres, qui revient sur le récent détournement d’un cargo américain.

En dehors d'Hollywood, le cinéma danois s’est lui aussi penché sur le sujet avec "Hijacking", haletant et efficace thriller de Tobias Lindholm qui, après avoir reçu un accueil chaleureux lors du dernier Festival de Venise, sort mercredi 10 juillet dans les salles françaises.

Loin des canons hollywoodiens

"Hijacking"revient sur deux prises d’otages récemment menées par des pirates somaliens sur des pétroliers danois et le film aurait pu se perdre dans les eaux, parfois troubles, du film "inspiré de faits réels" dans lesquelles plus d’un réalisateur n’ont pu éviter le naufrage. Mais la maîtrise et la dextérité avec lesquelles Tobias Lindholm dirige son récit - ainsi que les plans caméra à l'épaule - lui permettent d’éviter les nombreux écueils du genre.

Le principal point fort de ce drame profondément humain se trouve dans les deux personnages : d’un côté, le dépenaillé et bon vivant Mikkel (Pilou Asbaek), cuistot de l’équipage contraint de jouer les intermédiaires entre les pirates et ses employeurs ; de l’autre, l’austère Peter (Soren Malling), PDG de la compagnie danoise propriétaire du cargo, qui s’acharne à ne vouloir négocier qu’avec les assaillants présents sur le navire. Plus qu’une méticuleuse reconstitution d'un fait d’actualité, "Hijacking" brosse le portrait de deux hommes amenés, bien malgré eux, à gérer une situation d’extrême urgence.

De fait, Tobias Lindholm est bien loin des canons hollywoodiens. Ici, point de musique martiale, de montage haché menu, de ralentis héroïques ou de séquences tire-larmes auprès des familles des otages attendant désespérément des nouvelles. L’assaut du paquebot, qui aurait pu garantir un grand moment de sensationnel, n’est même pas montré à l’écran…

Claustrophobie et violence feutrée

Aux scènes d’action survitaminées, le cinéaste danois préfère l’angoisse claustrophobe des otages, cloîtrés dans de minuscules cabines pendant de longs mois de calvaire et la violence feutrée des froides négociations dans les bureaux aseptisés de la compagnie pétrolière danoise.

Chemin faisant, le film laisse progressivement ses protagonistes se défaire de leurs traits stéréotypés pour se révéler aux yeux du public. Peter, par exemple, n’est pas qu’un intransigeant et impitoyable patron aux fines lunettes. C'est aussi un homme mesuré, dont le sens des responsabilités le pousserait volontiers à payer n’importe quelle rançon qui garantirait la vie sauve à ses employés.

De même, Omar (Abdihakin Asgar), le porte-parole anglophone des pirates, se montre plus affable que réellement menaçant. En fait, Tobias Lindholm se garde bien de dépeindre les assaillants comme de méchants sanguinaires, et n’hésite d’ailleurs pas à les montrer, dans l’une des rares scènes d’espoir du film, en train d’entonner "Happy Birthday" avec leurs otages.

À quoi bon, finalement ?

Mais aussi prenant et bien ficelé soit-il, "Hijacking" n’échappe finalement pas à la question : "à quoi bon ?" Ni pur divertissement, ni documentaire - malgré son implacable précision lorsqu’il s’agit de restituer la réalité des faits -, le film n’a pas même l’ambition de scruter, comme l’a brillamment fait Kathryn Bigelow dans "Zero Dark Thirty", les mécanismes menant à la violence et au sacrifice moral.

Dans le dossier de presse du film, Tobias Lindholm affirme que "les Somaliens ne seront certainement pas d'accord avec ça, mais des frigos géants voguent au large de leur pays et je peux comprendre pourquoi des gamins affamés veulent s'en emparer. Pourquoi la communauté internationale ne fait-elle rien ? C'est un problème terriblement compliqué."

Essentiellement raconté du point de vue danois, le long-métrage no porte que peu d’intérêt aux enjeux géopolitiques qui peuvent conduire aux actes de piraterie dans cette région du monde. Film captivant et intelligemment mis en scène, "Hijacking" reste, dans le fond, trop à la surface pour susciter une entière adhésion.

"Bloody Sunday" et "United 93", réalisés, eux, par Paul Greengrass, suivaient eux aussi cette voie de la restitution réaliste des faits qui, en dépit de nombreuses qualités, laissait aux spectateurs un goût de trop peu. "Bloody Sunday" revenait sur les événements du 30 janvier 1972, en Irlande du Nord, quand 14 manifestants furent tués par des tirs de l'armée britannique tandis que "United 93" racontait le détournement, le 11 septembre, de l’avion qui s’est écrasé près de Pittsburg.

Espérons que son "Captain Phillips" s’inscrive dans le pas de Kathryn Bigelow, dont on ne cesse d’admirer la capacité à dépasser les contraintes de la stricte reconstitution pour mieux sonder la complexité du monde.