
L'emploi d'armes chimiques en Syrie constituait la "ligne rouge" à ne pas dépasser pour Barack Obama. Mais malgré les récentes informations faisant état d'attaques au gaz, le président américain est toujours réticent à intervenir dans le conflit.
"Malheureusement, les lignes rouges du président Obama sont inscrites en encre délébile et tendent à s’effacer." Le sénateur américain John McCain n'a pas mâché ses mots, dimanche 5 mai sur la chaîne Fox News, pour dénoncer la frilosité du président américain dans le dossier syrien.
Barack Obama avait fait de l'utilisation d'armes chimiques dans le pays une ligne rouge à ne pas franchir pour le régime de Bachar al-Assad. Or, si les informations faisant état d'attaques au gaz se font de plus en plus précises, le président américain n'affiche pas une réelle détermination à intervenir davantage dans le dossier syrien. Une position ambigue qui lui vaut nombre de critiques ces derniers jours,
De fait, John Mc Cain n'a pas hésité à déclaré que pour lui, "comme pour beaucoup", ces lignes avaient bel et bien été franchies.
Le candidat malheureux à la présidentielle de 2008 assure se baser sur des informations concordantes des services de renseignement occidentaux et israéliens.
Des rapports qui semblent étayer la thèse de l'utilisation de gaz en Syrie et qui plongent l'administration américaine dans l'embarras.
L'ombre de l'Irak
Mais à la Maison Blanche, on reste prudent, comme l'a réaffirmé Barack Obama le 30 avril. "Je dois être certain d'avoir tous les éléments. C'est ce que le peuple américain est en droit d'attendre", a-t-il dit. Son entourage évoque ouvertement le précédent de 2003, quand les États-Unis avaient lancé l'invasion de l'Irak sous le prétexte d'armes de destruction massives qui n'ont jamais été retrouvées après le renversement de Saddam Hussein.
"Si nous prenons des décisions sans preuves solides, alors nous nous retrouverons peut-être dans la situation de ne pas pouvoir mobiliser la communauté internationale pour soutenir ce que nous faisons", a ajouté Barack Obama, faisant, là encore, référence à la guerre menée par son prédécesseur George W. Bush.
Historienne et spécialiste des États-Unis, Anne Kraatz invite à ne pas sous-estimer le poids de l’intervention en Irak de 2003. "L’Irak est devenu un précédent que personne ne veut voir se répéter, ni les politiques, ni les Américains", explique-t-elle. "Barack Obama hésite sur l’attitude à adopter vis-à-vis de la Syrie, notamment parce qu’il sait que le public américain n’a aucune envie de voir le pays s’embarquer dans une telle aventure", estime l’historienne .
Armer la rébellion ?
En outre, poursuit-elle, "qu'il s'agisse des États-Unis ou d’autres pays occidentaux, personne n’a envie de se retrouver dans une situation où il serait prouvé par la suite que les armes chimiques n’ont pas été utilisées par le régime" ; ou, pire encore, qu'elles aient été utilisées par les rebelles, comme l'a laissé entendre lundi Carla del Ponte, membre de la Commission d'enquête de l'ONU sur les violations des droits de l'Homme en Syrie. La multiplication des factions rebelles, dont certaines sont très radicales, pose ainsi problème aux puissances occidentales et explique leur extrême réticence à armer la rébellion syrienne.
Pour l’heure, les États-Unis fournissent à l’opposition syrienne une aide non létale. Mais, Washington a laissé entendre la semaine dernière, après les soupçons d’usage d’armes chimiques, qu’il pourrait désormais s’agir de fournir des armes aux combattants, ce qui constituerait un tournant de taille dans le conflit.
Jeudi, le secrétaire d’État à la Défense, Chuck Hagel, a annoncé que l’administration américaine réfléchissait à la possibilité d’armer les rebelles syriens. "On réfléchit à toutes les possibilités", a-t-il déclaré. Une éventualité qui laisse Anne Kraatz sceptique. "Je pense qu’il est peu probable que les États-Unis se mettent à armer la rébellion", observe-t-elle. "Ou du moins ce ne sera certainement pas avec des armes lourdes", nuance-t-elle, présisant qu’un tel armement serait "bien trop dangereux pour les alliés des États-Unis dans la région, comme Israël". Selon l'historienne, l’administration américaine est bien consciente que "le chaos syrien représente déjà une grave menace pour ses alliés dans la région", sans qu'il faille en rajouter.
La crédibilité des États-Unis affaiblie ?
En outre, les divisions au sein de la classe politique américaine, à l’image de celles de la communauté internationale, n’encouragent pas le président Obama à agir. Car si tous sont d’accord sur la nécessité d'intervenir en Syrie, des divisions apparaissent quant à la nature de l'intervention. Frappes ciblées, zones d’exclusion aérienne, livraison d’armes à la rébellion... les options sont multiples, de même que les avis.
Reste que d'aucuns craignent un affaiblissement des États-Unis en l'absence d'une ligne ferme. Depuis que l’usage d’armes chimiques a été rapporté par diverses chancelleries occidentales, "le cafouillage que constitue la politique du président Obama sur la Syrie est devenu encore plus confus", a ainsi estimé la semaine dernière le Washington Post. La position de M. Obama, selon laquelle une confirmation du recours aux armes chimiques conduirait seulement à "repenser l'éventail des options", est un "encouragement à d'autres attaques chimiques", s'est indigné le quotidien.
Cité par le International Herald Tribune, Barry Pavel, un ancien conseiller de Barack Obama sur les questions de défense, s’inquiétait ainsi lundi "des conséquences pour la crédibilité des États-Unis lorsque nous employons un jargon juridique pour contourner nos engagements".