Lors de la venue du chef de la diplomatie française Laurent Fabius à Bamako, le Premier ministre malien Diango Cissoko a rappelé que la tenue d'élections en juillet était "un engagement fort du gouvernement". Le pays est-il prêt ? Décryptage.
"C'est un pari, mais c'est un engagement fort du gouvernement malien". Lors de la visite du ministre des Affaires étrangères français Laurent Fabius vendredi 5 avril, le Premier ministre malien Diango Cissoko a réaffirmé la volonté du gouvernement malien d'organiser des élections d'ici le 31 juillet. "Nous espérons que les conditions seront très bientôt réunies", a-t-il ajouté en évoquant "un engagement fort du gouvernement malien".
De son côté, la France, pressée d'amorcer son retrait du pays dans lequel elle a engagé 4 000 hommes depuis le 11 janvier, insiste depuis des semaines sur la nécessité d'avoir au minimum une élection présidentielle en juillet. Et le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius a profité de sa visite pour le rappeler. Avoir "un président légalement élu en juillet" est "techniquement et politiquement faisable", a-t-il affirmé.
"Le moment venu, il faudra que tout groupe - ça vaut pour le MNLA comme pour tout autre groupe armé - accepte d'être cantonné et de renoncer à ses armes", a affirmé Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, vendredi lors d'une visite à Bamako. "Dans un pays démocratique, il ne peut pas y avoir deux armées", a-t-il ajouté, faisant référence à la ville de Kidal (nord-est du Mali), où le MNLA a désigné un "administrateur" et a refusé la présence de l'armée malienne, qui "fait partie du territoire malien".
"Il y a une situation spécifique liée au fait que le MNLA est présent (à Kidal) et que des forces françaises sont là, il n'y a aucune connexion entre les deux. La question qui se pose est : comment arriver à une situation normalisée? Nous pensons (...) qu'il faut qu'il y ait un dialogue. Il faut qu'entre gens de bonne volonté, on puisse se parler", a-t-il déclaré.
Avec AFP
Sous la pression de la France, les politiques maliens semblent prêts à y croire. La date du 7 juillet est évoquée pour le premier tour de la présidentielle, et celle du 21 juillet pour les élections législatives. Le ministre malien de l'Administration du territoire, Moussa Sinko Coulibaly, a affirmé, jeudi 3 avril, à Bamako, n'avoir "aucun doute par rapport" à ce calendrier. Le gouvernement malien déclare pouvoir faire voter les 6,9 millions d’électeurs potentiels. Les autorités ont notamment décidé d'inscrire "les déplacés dans les bureaux de vote de leur choix" afin de leur permettre de participer au vote. Selon des chiffres de l'ONU, il y avait fin mars plus de 470 000 Maliens déplacés à l'intérieur du pays ou réfugiés dans des pays voisins. Si le gouvernement malien se veut rassurant, il ne peut pour autant occulter les obstacles qui pourraient remettre en cause le calendrier souhaité par Bamako et Paris.
Instabilité dans le Nord
De nombreux experts s'accordent en effet à dire que l'organisation d’un scrutin d’ici fin juillet semble peu réaliste, notamment en raison de l’instabilité persistante dans le nord du pays. Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a laissé entendre dans un rapport le 26 mars que "les conditions ne sont pas mûres pour la tenue d'élections libres, crédibles et paisibles". Le pays connaît encore des attentats-suicides et incursions de combattants islamistes dans certaines localités, comme Gao ou Tombouctou. Enfin, undernier obstacle demeure : le financement du scrutin. Il manquerait 25 millions d'euros rien que pour organiser la présidentielle.
La période semble également mal choisie, ajoute Armelle Charrier, spécialiste des questions internationales pour France 24. "Dans ce pays agricole, c’est le moment où l’on sème, indique-t-elle. Les électeurs risquent de ne pas être nombreux à aller voter". Fixer les élections vers la fin de l’année, en octobre ou novembre, semble plus réaliste, avance Armelle Charrier. "Car d’ici là, les troupes de maintien de la paix de l’ONU, dotées d’une expertise en ce qui concerne le système électoral, devraient être déployées dans le pays".
La délicate mise en place de la "Commission de dialogue et de réconciliation" (CDR).
La "Commission de dialogue et de réconciliation" (CDR) aura la charge de rechercher, par le dialogue, la réconciliation entre toutes les communautés maliennes et de recenser les forces politiques et sociales concernées par le processus de dialogue de réconciliation.
Pour que la commission travaille de façon efficace, toutes les sensibilités devront être représentées au sein de la structure, précise Armelle Charrier. Pour l'heure, seuls les principaux postes ont été attribués : son président, Mohamed Salia Sokona, qui a été ministre des Forces armées (1997-2000), ambassadeur du Mali au Burkina Faso et au Niger (2000-2003), puis en France (2003-2010), est considéré comme rigoureux et consensuel.
Il sera secondé par une femme Touré Oumou Traoré - qui dirige actuellement la Coordination des associations et ONG féminines du Mali (Cafo), et un Touareg, Méti Ag Mohamed Rhissa, un ancien lieutenant-colonel des douanes maliennes originaire de la localité d’Aguelhok, dans la région de Kidal (extrême nord-est). "Les Peuls, les Arabes et les Songhaï devront également figurer parmi les 30 commissaires de la CDR", souligne la journaliste de France 24.
Les tensions Nord/Sud persistent
Il faudra du temps et cela semble peu probable qu’elle se fasse d’ici les élections. Les tensions sont encore palpables dans de nombreuses villes du nord du pays, où le Mouvement national de libération de l’Awazad (MNLA) refuse toujours la présence de l'armée malienne.
De profonds désaccords entre Noirs d'un côté, et Arabes et Touareg de l'autre, existent depuis de nombreuses années. Les populations du Nord voient dans celles du Sud des oppresseurs, qui les ont toujours écartés du pouvoir. Les différends se sont intensifiés depuis l'année dernière quand les populations du Sud ont considéré que celles du Nord étaient responsables de la crise politique conduisant à la scission du pays. Cette rancœur a ensuite été exacerbée par la prise de pouvoir des islamistes dans le Nord. Pour les observateurs, les issues politiques envisageables sont soit la décentralisation du Nord-Mali avec un gouvernorat plus fort, soit l'autonomie réelle.