
Pyongyang a décidé, mercredi, d’interdire aux Sud-Coréens de venir travailler dans le complexe économique de Kaesong. Une décision rare tant ce lieu qui jouxte la zone démilitarisée est économiquement importante pour la Corée du Nord.
C’est un peu le thermomètre des relations entre les deux Corées. En empêchant mercredi les employés sud-coréens d'entrer dans le complexe industriel intercoréen de Kaesong situé à une dizaine de kilomètres de la zone démilitarisée, Pyongyang a fait monter la température d’un coup. Une nouvelle étape dans la détérioration des relations entre les deux pays.
L’accès à Kaesong n’avait été fermé qu’une seule fois en 2009 pendant quelques jours à la suite de manœuvres militaires américano-sud-coréennes. Même fin 2010, alors que la Corée du Nord était allée jusqu’à procéder à des tirs d’artillerie sur une île appartenant à son voisin du Sud, le régime de Pyongyang avait maintenu l’activité dans ce complexe industriel.
Ouvert en 2003, Kaesong est, en effet, symboliquement et économiquement stratégique pour la Corée du Nord. Cette zone représente “le dernier vestige d’une série d’initiatives lancée entre 2000 et 2008 pour renforcer la coopération entre les deux pays”, rappellent Mark Manyin et Dick Nanto, deux spécialistes américains de l’Asie, dans une étude de 2011 consacrée à Kaesong.
Paradis capitaliste ?
Voulu et largement financé par Séoul, ce pont économique vise à instaurer une sorte de paradis capitaliste en plein cœur de l’un des pays les plus fermés du monde. Le plan de développement de Kaesong, établi à la fin des années 90 par le géant sud-coréen Hyundai, prévoyait la création d’hôtels, de centres commerciaux et même de terrains de golf et autres divertissements. Une manière de tenter d'amener le voisin du Nord sur le chemin d'une plus grande ouverture économique.
Le complexe industriel a aussi pour vocation de défendre le “made in Korea”. En fournissant aux entreprises sud-coréennes une main d'œuvre qualifiée et peu chère, cette zone doit permettre d'empêcher des délocalisations dans d’autres pays asiatiques comme la Chine. Les quelque 123 sociétés sud-coréennes qui s’y sont installées au fil des années fabriquent aussi bien des produits textiles que de l’électroménager ou encore des pièces détachées pour l’industrie automobile.
Une zone d’activité qui est économiquement vitale à bien des égards pour la Corée du Nord. C’est tout d’abord un gros pourvoyeur d’emplois. Plus de 50 000 employés nord-coréens y travaillent, d'après les chiffres officiels de Séoul. Environ un millier de Sud-Coréens y ont aussi un emploi. À terme, d’après les plans de Hyundai, les entreprises de Kaesong sont censées fournir du travail à plus de 350 000 Nord-Coréens. Un objectif qui avait été fixé à 2012, mais n’a pu être tenu en raison des relations chaotiques entre les deux pays voisins.
Les deux Corées perdantes
Mais si le plan a pris du retard, le complexe de Kaesong contribue déjà beaucoup au commerce nord-coréen. À lui seul, il représente près de 80 % des exportations à destination de la Corée du Sud et a permis à Pyongyang de récupérer près de 2 milliards de dollars en 2011, d'après l'agence de presse américaine Reuters.
Une fermeture prolongée de l’accès au complexe de Kaesong risque donc de coûter cher au régime nord-coréen. D’autant que les autorités sont soupçonnées, notamment par l’administration américaine, de prélever jusqu’à 45 % des salaires versées aux Nord-Coréens employés dans cette zone économique.
Reste que Séoul aussi a intérêt à ce que cette zone demeure ouverte. D’abord parce qu’elle offre un accès privilégié à de la main d’œuvre à bas coût pour les entreprises sud-coréennes. Ensuite, ces sociétés bénéficient d’une assurance qui les protége contre une fermeture unilatériale décidée par Pyongyang. Dans ce cas, la Corée du Nord devrait leur verser, d’après le site de la chaîne britannique BBC, plusieurs centaines de millions de dollars en compensation.