La Ligue arabe a autorisé ses États membres à soutenir militairement les insurgés syriens et a invité la Coalition nationale syrienne (CNS) à occuper le siège de la Syrie resté vacant. Éclairage du politologue Hasni Abidi.
La Ligue arabe a fait un pas de plus pour marquer son soutien à la Coalition nationale syrienne (CNS). Dans une résolution adoptée à l’issue d’une réunion ministérielle mercredi 6 mars, le secrétaire général de la Ligue arabe, Nabil Elaraby, a appelé la CNS à former une instance exécutive pour occuper le siège de la Syrie, resté vacant depuis novembre 2011.
Par la voix des ministres des Affaires étrangères, la Ligue a également autorisé ses pays membres à fournir un soutien militaire aux rebelles syriens s’ils le souhaitaient. Ils "insistent sur le droit pour chaque État selon ses voeux d'offrir tous types d'auto-défense, y compris militaire, pour soutenir la résistance du peuple syrien et de l'Armée libre (syrienne)", précise la Ligue. Jusqu'à présent, l’organisation insistait sur la nécessité d'aider les opposants au président Bachar al-Assad uniquement aux niveaux humanitaire ou diplomatique.
Ces annonces sont loin d’avoir fait l’unanimité au sein de l’organisation régionale, composée de 22 membres. L’Irak et l’Algérie ont émis des réserves sur la résolution, tandis que le Liban s’en est dissocié.
Le directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam), Hasni Abidi, revient pour France 24 sur la position de la Ligue arabe.
France 24. Que signifient ces nouvelles décisions de la Ligue arabe en faveur de l’opposition syrienne ?
Hasni Abidi. L’organisation a aujourd’hui pris conscience de l’échec programmé de la mission du médiateur de l'ONU et de la Ligue arabe en Syrie, Lakhdar Brahimi. Aujourd’hui, elle est résignée sur le fait que le régime de Bachar al-Assad n’optera pas pour une solution politique.
La situation est également bloquée sur le terrain car d’un côté, le régime de Damas n’arrive pas à reconquérir les territoires contrôlés par l’opposition et de l’autre, les insurgés syriens ne parviennent pas à neutraliser la force de frappe de l’armée régulière, ni à faire basculer la capitale. Et pendant ce temps, le peuple syrien est le seul perdant…
Face à ces impasses, la Ligue arabe n’avait pas d’autre choix. Sa décision est la suite logique de sa position dans ce conflit : en novembre 2011, l’organisation avait décidé de suspendre la Syrie tant que le régime du président Assad n'appliquerait pas un plan pour mettre fin à la violence. Un an plus tard, elle reconnaissait la coalition de l'opposition syrienne en tant que représentant légitime du peuple syrien.
Le Liban s’est opposé à ces deux décisions par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Adnan Mansour, qui les a qualifiées de "très dangereuses". Donner son aval à un soutien militaire n’est-il pas risqué ?
La Coalition nationale syrienne (CNS) se réunira à partir de mardi à Istanbul pour désigner un Premier ministre de transition. La date a été fixée après le retrait de la candidature à ce poste de Riad Hijab, ancien chef du gouvernement de Bachar Al-Assad et principal responsable civil à avoir rompu avec le régime depuis le début du soulèvement en mars 2011. Sa candidature était vivement contestée aussi bien par les représentants islamistes que libéraux au sein de la CNS, en raison de ses liens passés avec le pouvoir en place à Damas.
H.A. Attention, il ne s’agit pas pour la Ligue d’organiser des achats d’armes pour l’opposition syrienne. Il appartient à chaque pays membre de prendre sa décision. Ce texte a juste une valeur de caution politique.
Par ailleurs, pour siéger à la Ligue, la CNS, qui est une coalition de l’opposition, devra d’abord désigner un gouvernement. Or, cela fait dix mois qu’ils échouent à former un organe exécutif et qu’ils ont des difficultés à s’entendre. C’est donc loin d’être fait…[voir encadré]
Damas a pour sa part réagi en affirmant que la Ligue arabe est "désormais otage de la position politique biaisée du (...) Qatar et de l'Arabie saoudite", qui soutiennent les rebelles. Existe-il un risque de dissension au sein de l’organisation ?
H.A. Cette résolution est une décision prise à la majorité des membres. Si la Ligue arabe a cédé à la pression des pays du Golfe, et notamment du Qatar et de l’Arabie saoudite, c’est parce que Doha et Riyad ont réussi à mobilier l’Égypte, le Yémen et la Tunisie sur le sujet. Mais cela ne signifie pas pour autant que ses membres vont passer à l’action en fournissant la CNS en armes. Cette prise de position est en fait un avant-goût de ce que donnera la présidence tournante du Qatar, qui débutera fin mars.