
, envoyée spéciale au Kenya – À quelques jours du scrutin présidentiel, les marionnettes de l'émission satirique, le "XYZ show" - inspirée des Guignols français - s’en donnent à cœur joie. Avec un humour féroce, elles s’attaquent aux candidats et aux mœurs politique kényanes.
Calme et déterminée, la voix du régisseur s’élève "Silence sur le plateau, les marionnettistes ne peuvent pas entendre les retours". L’impossible vacarme s’interrompt quelques minutes avant que les conversations ne reprennent de plus belle.
La scène se déroule sur le plateau de tournage du "XYZ show", l’émission satirique aux marionnettes de latex qui épingle les hommes politiques et n’hésite pas à dénoncer les pires travers de la classe politique kenyane avec un ton et un aplomb inédit dans le pays.
L’équipe de production met la touche finale à l’émission qui sera diffusée dimanche 3 mars, la veille du premier tour du scrutin présidentiel. Pour Godfrey Mwampembwa, créateur et producteur de l’émission, les enjeux dépassent largement le cadre habituel.
"On a travaillé dur toutes ces années pour aboutir à ce que l’organisation de ces élections se déroule dans le respect de la liberté d’expression. Même s’il y a encore beaucoup à faire, c’est une élection décisive pour le Kenya".
Débat présidentiel organisé par le "XYZ show" (en anglais)
Des présidents derrière les barreaux, des cerveaux disséqués
Aujourd’hui âgé de 44 ans, Godfrey Mwampembwa a derrière lui une longue carrière de dessinateur de presse. Ses caricatures, qu’il signe "Gado", se sont longtemps contentées d’égratigner les dirigeants kenyans, et en premier lieu le dictateur Daniel Arap Moi, impitoyable avec l’opposition lors de son règne, entre 1978 et 2002.
La censure ayant aujourd’hui reculé dans le pays, il se permet d’être plus offensif. Ainsi, dans un récent sketch du "XYZ show", un homme explore le crâne rempli d’insectes de l’ancien dictateur pour mieux comprendre d’où provient la corruption endémique qui ruine le pays !
Les "Guignols" kenyans tentent de garder le même ton corrosif lors de cette campagne électorale : on a ainsi récemment pu voir la marionnette de Uhuru Kenyatta, le propre fils du père de l’indépendance derrière les barreaux d’une geôle du TPI à la Haye. Celui qui est candidat à la présidence est en effet inculpé par la justice internationale pour son rôle dans les violences post-électorales de 2007 (1 000 morts et plus de 600 000 déplacés).
Si celui-ci sort vainqueur du scrutin du 4 mars, il s’est dit prêt à assumer son mandat tout en se rendant à La Haye pour répondre de l’accusation de crime contre l’humanité porté contre lui. Une mine d’or pour les humoristes de "XYZ show".
Les Guignols de l’info, de Paris jusqu’à Nairobi
Si la démocratisation du Kenya a rendu possible l’existence d’une telle émission satirique, sa mise en place fut un véritable parcours du combattant pour le dessinateur Gado.
En 2003, par l’intermédiaire de l’Alliance française, il était parvenu à se glisser dans les locaux de la chaîne française Canal Plus pour observer les coulisses des "Guignols de l’info".
"Je suis revenu complètement découragé. Les moyens techniques et la production étaient un dispositif vraiment énorme. Et à la maison on n'avait rien. Mais en même temps je me suis dit que c’était tellement bien qu’il fallait absolument qu’on le fasse au Kenya."
Après avoir essayé de fabriquer des marionnettes en latex sur place, Gado parvient quelques années plus tard à envoyer un sculpteur kenyan en France pendant un mois afin de maîtriser leur processus de fabrication.
Une fois la technique maîtrisée, le dessinateur présente enfin un pilote d’émission aux télés kenyanes qui toutes refusent de la produire.
En 2007, à la veille de la précédente élection présidentielle, Gado évoque son projet avec une journaliste française, Marie Lora Mungai. "Quand j’ai vu le pilote, j’ai été immédiatement convaincue." dit-elle. "J’ai grandi en France avec les Guignols de l’info et pour moi c’était une évidence", raconte celle qui va devenir la productrice du "XYZ show".
C’est seulement en 2009 que le budget nécessaire est réuni et que le premier épisode du "XYZ show" est diffusé au Kenya par Citizen’s TV. L’émission se fait d’abord descendre par les critiques. "L‘animation n’était pas terrible et l’écriture franchement mauvaise" se souvient Gado. Armé d’un esprit critique acéré, le caricaturiste s’acharne pour faire de l’émission un succès.
"Ça tourne"
Aujourd’hui âgé de quatre ans, le "XYZ show" est devenu une mécanique bien huilée. Avec cette élection présidentielle, cruciale, pour le pays, l’équipe est plus motivée que jamais.
Sur le plateau le silence est revenu. Les essais sont terminés, l’équipe est concentrée, le réalisateur lance un "Ça tourne" retentissant.
"Bienvenu dans notre spéciale du XYZ show , nous sommes en direct au ministère de l’Intérieur", lance le "PPD" de latex kenyan, qui s’appelle Keff Joinange. À ne pas cofondre avec Jeff Koinange, la vraie star du JT local.
"Gangnam style" version Guignols de l'info kényans