
, envoyé spécial en Italie – Au second jour du scrutin des législatives, le spectre de l'instabilité politique plane sur le gouvernement italien. Certains électeurs ont partagé leur vision d'une élection qui pourrait avoir de lourdes répercussions en Europe.
L’Italie vote depuis dimanche, et jusqu'à lundi, pour élire les membres de la Chambre des députés et du Sénat. Le scrutin est crucial pour le pays qui fait face à une grave crise de la dette et un chômage en hausse constante. La complexité de la loi électorale pourrait favoriser un Parlement dans lequel aucune coalition ne rassemblerait assez de sièges pour former une majorité stable.
FRANCE 24 a interrogé des électeurs en Lombardie et en Toscane à propos de leurs espoirs et de leurs craintes.
"Berlusconi est fini, c’est Grillo qui m’inquiète maintenant"
Antonella Chini, 79 ans, céramiste à Florence depuis 42 ans. Silvio Berlusconi ne l’inquiète pas.
"Je ne pense pas que Berlusconi puisse remporter ces élections. La vraie menace vient de Beppe Grillo (candidat anti-establishment). J’ai croisé beaucoup de Grillo tout au long de ma vie, ils incarnent une forme de défaitisme typiquement italien. C’est facile de cultiver cette colère et ce mécontentement, de dire ‘renvoyons tous les hommes politiques chez eux’. Ce qui est dur, c’est de trouver des solutions et Grillo n’en propose aucune.
J’aurais aimé que Mario Monti ne se lance pas en politique, il a hérité d’une situation catastrophique et même s’il a fait ce qui était nécessaire, ce n’est pas un homme politique."
"La plupart des Italiens n’ont pas compris Monti"
Fulvia, 47 ans, gère une entreprise de traduction à Gallarate, près de Milan.
"Je pense que Mario Monti est le seul candidat qui détient la solution adéquate pour les problèmes d’Italie mais, malheureusement, je fais partie d’une petite minorité. La plupart des Italiens ne comprennent pas et n’apprécient pas ce que Monti a fait pour le pays. Il a restauré notre crédibilité à l’étranger et fait taire [la chancelière allemande Angela, ndlr] Merkel. Mais ils s’en moquent, ils ne voient que les hausses d’impôts et les coupes dans le budget et ne réalisent pas qu’il n’y avait pas d’autre choix. L’État est comme une entreprise, il a besoin de discipline et de budget équilibré. Il ne peut continuer à dépenser l’argent qu’il ne possède pas.
Une alliance entre Monti et la coalition de centre gauche de Bersani pourrait fonctionner, pour un temps. Mais le mouvement de Bersani est trop divers et instable lui-même. Nous avons besoin de stabilité, nous ne pouvons pas nous permettre de voter à nouveau dans quelques mois.
Je ne suis pas optimiste quant à l’avenir de ce pays. J’ai d’ailleurs dit à mes filles (de 18 et 21 ans) de partir vivre à l’étranger, parce qu’ici, il n’y a pas d’opportunités pour les jeunes."
“Je ne vais pas voter parce que je ne peux pas me permettre de fermer mon magasin”
Matteo Brogi, 27 ans, est propriétaire d’une épicerie dans le centre de Florence.
"Je ne vais pas voter à ces élections. Ce n’est pas que je ne suis pas intéressé par la politique, mais je ne peux pas me permettre de fermer mon magasin pour quelques heures (Matteo Brogi est inscrit sur les listes électorales dans un village dans les environs de Florence). L’austérité nous a touché durement, mais je ne blâmerai pas le gouvernement de Mario Monti. L’Italie ne peut pas continuer indéfiniment à accumuler de la dette. Monti a fait ce qui devait être fait et personne d’autre n’avait assez de courage pour le faire.
Ceci étant dit, je voterai probablement pour Pier Luigi Bersani : il est le seul capable de battre Silvio Berlusconi. Cette fois-ci encore, Berlusconi a monopolisé la campagne. Mais je sais comment l’éviter : j’éteins simplement la télévision."
"Bersani n’a pas le charisme de Berlusconi, mais il fait avancer les choses"
Paolo Paliago, 51 ans, enseigne les sciences économiques à l’École européenne (European School) de Varese, en Lombardie.
"Si on compare la situation actuelle avec ce qu’on avait avant, alors Mario Monti est un héros. Mais lui qui était le candidat naturel pour la présidence italienne (un poste honorifique aux pouvoirs limités) a malheureusement préféré se lancer dans le sale business de la politique.
Quant à Berlusconi, quand il affirme que les pots de vin sont parfois nécessaires, il s’adresse ‘alla pancia’ (aux estomacs) des Italiens qui n’obéissent pas toujours aux lois. Pour certains, le raisonnement est simple : ‘tu baisses mes impôts et je vote pour toi’, même si la plupart savent maintenant que Berlusconi ne respecte pas ses promesses.
Son principal opposant à gauche, Bersani, est beaucoup plus prudent dans ses promesses. Il n’a pas le charisme de Berlusconi mais il a une personnalité forte. Il est sérieux et courageux et il fait avancer les choses."
"Lundi, on pourrait avoir plus de femmes au Parlement qu’en Allemagne"
Francesca Panzarin, 40 ans, est candidate aux élections régionales en Lombardie. Elle est la fondatrice de womenomics.it, un site internet féministe.
"Pendant deux décennies, Berlusconi a beaucoup abîmé l’image de la femme en Italie. Aujourd’hui, il y a donc encore beaucoup de sexisme en politique et sur les lieux de travail. Seulement 47 % des femmes travaillent en Italie et celles qui ont un emploi luttent pour gérer en parallèle les courses, le ménage et les enfants… Mais les choses commencent à changer. Il y a de plus en plus d’organisations qui aident les femmes à concilier vie professionnelle et familiale. Maintenant, il faut que ces initiatives se traduisent en politiques nationales. C’est nécessaire pour le bien de l’Italie. Des études ont montré que pour 100 000 femmes intégrant la population active, le PIB du pays augmente de 0,3 %.
Cette année, il y a de nombreuses candidates, en particulier dans les partis de gauche. Si nous atteignons 33 % de femmes au Parlement, nous aurons alors plus de représentantes qu’en Allemagne. Ça serait au moins un point sur lequel on les battrait !"