Les onze États européens qui veulent appliquer une taxe sur les transactions financières ont reçu l’aval, mardi, de l’Union européenne. Ce prélèvement pourrait rapporter 37 milliards d’euros par an... et moraliser la finance ?
Le feu vert est donné! L’Union européenne a accepté, mardi 22 janvier, que les onze États membres* instaurent dans leurs pays une taxe sur les transactions financières (TTF).
“C'est positif car il y a onze États de l'UE qui vont mettre en place une taxe qui commence à dessiner ce qu'est le monde post-Lehman Brothers”, s’est félicité Benoît Hamon, le ministre français de l’Économie sociale et solidaire, qui représentait la France mardi à Bruxelles.
Cette TTF, version européenne de la célèbre taxe Tobin dessinée il y a 40 ans par l’économiste américain James Tobin, vise à prélever un impôt de 0,1% sur les échanges d’actions et d’obligations et de 0,01% sur les contrats dérivés (comme par exemple les subprimes). La taxe s'appliquerait dès lors qu'au moins un établissement financier participant à la transaction - même si elle a lieu hors de l’Union européenne - est établi dans l'UE.
Le couple franco-allemand, fervent défenseur de l’instauration d’une telle imposition, espère que les pays qui en ont accepté le principe vont la traduire en loi dès l’année prochaine. La taxe sur les transactions financières pourrait alors rapporter environ 37 milliards d’euros, selon une étude publiée en 2012 par l’Institut allemand pour la recherche économique (DIW) (en Allemand). Et si ces rentrées fiscales ne seront pas négligeables, la TTF peut aussi servir à “moraliser les marchés financiers”, explique à FRANCE 24 Pascal de Lima, enseignant en économie à Sciences-po Paris et spécialiste de la finance.
FRANCE 24 : La taxe sur les transactions financières pourrait rapporter 37 milliards d’euros dès l’an prochain, cela vous semble-t-il être une somme impotante ?
Pascal de Lima : En un sens oui, car aujourd’hui, les transactions financières ne rapportent rien ou presque aux États. Mais, il faut ramener cette somme au coût annuel des plans d’austérité pour l’Europe, qui est estimé à 240 milliards d’euros. À cette aune, c’est plutôt une grosse goutte dans la mare de l’austérité.
Car il ne faut pas se leurrer, cette taxe sur les transactions financières doit servir avant tout à soulager un peu le poids de cette rigueur. Il faut alors se demander comment les rentrées fiscales générées vont être redistribuées. En effet, si ce sont les pays où résident les institutions financières taxées, les grands gagnants risquent d’être des États comme l’Allemagne ou la France. Or, ce ne sont pas forcément les États qui ont le plus besoin de cet argent. Il y a donc maintenant une réflexion à mener sur la manière de faire profiter cette éventuelle manne à ceux qui en ont le plus besoin comme la Grèce ou le Portugal.
FRANCE 24 : Au-delà des rentrées fiscales, Benoît Hamon évoque une taxe pour “dessiner le monde post-Lehman Brothers”. Que veut-il dire par là ?
P. de L. : Cette taxe est censée aider à moraliser le monde de la finance et à la faire participer davantage à l’économie réelle.
En effet, on assiste actuellement à une forte reprise des marchés financiers alors que le reste de l’économie stagne. En prélevant une taxe sur les transactions financières pour la réinvestir dans l’activité des entreprises, les États peuvent réduire le décalage qui existe actuellement entre une bourse qui renoue avec les bénéfices et un PIB qui peine à redécoller.
Par ailleurs, l’une des raisons de la crise de 2008 est la titrisation sur titrisation. C’est à dire que les petits génies de la finance avaient inventé des produits financiers adossés à d’autres produits financiers eux-mêmes adossés, notamment, à des crédits hypothécaires [comme les subprimes, NDLR]. Lorsqu’un maillon de la chaîne s’est effondré, tout le reste s’est effondré. En taxant ces échanges financiers, on peut espérer réduire les incitations qui ont poussé le monde de la finance à multiplier ces produits.
Enfin, la taxe devrait aussi apporter un peu de transparence dans le monde de la finance. En effet, à partir du moment où il sera question de fiscalité, des cabinets d’audit vont être appelés pour évaluer le coût de telle ou telle transaction. Ces experts vont avoir accès à des comptes qui auparavant n’étaient pas forcément contrôlés.
FRANCE 24 : Dans ces conditions, pourquoi certains pays européens ne souscrivent-ils pas à cette taxe sur les transactions financières ?
P. de L. : Dans le cas de la Grande-Bretagne, c’est évidement le poids de la City qui explique la réticence de Londres. La place financière britannique voit cette taxe comme allant à l’encontre des intérêts des assureurs, fonds de pension et d’investissement.
Pour d’autres pays, notamment d’Europe de l’Est, la situation est un peu différente. Après la chute de l’Union soviétique, on a expliqué à ces États qu’ils devaient promouvoir chez eux l’émergence d’un marché financier performant. Et maintenant qu’ils sont en train de rattraper leur retard sur les autres, on leur demanderait d’implémenter une taxe qui va freiner le développement de leur place financière ? Ils ne sont pas encore prêts à le faire.
Il y a aussi ceux qui craignent que cette taxe ne soit pas efficace tant que tous les pays au monde ne l’appliqueront pas. Le risque est réel : les institutions financières peuvent être tentées de faire leurs transactions avec des places financières plus opaques pour échapper à l’imposition selon le bon vieux principe du pas-vu-pas-pris.
*France, Allemagne, Belgique, Portugal, Autriche, Slovénie, Grèce, Espagne, Italie, Estonie et Slovaquie.