Malgré les espoirs d'ouverture suscités par le 18e Congrès du Parti communiste chinois en novembre, Pékin resserre son étau sur Internet et propose de nouvelles lois restrictives pour limiter les libertés sur la Toile.
Sur la Toile chinoise, il y a des jours où tout bug : Gmail, Google, et la connexion à son VPN, le réseau virtuel privé qui permet théoriquement de contourner la censure. Des jours qui se résument, pour les internautes, à allumer, éteindre et rallumer son ordinateur en bâillant des heures devant une connexion qui tourne au ralenti.
Depuis plusieurs mois, en effet, la Chine - qui a suivi d’un œil inquiet les révolutions arabes et le rôle prépondérant d’Internet dans la mobilisation collective - ne fait que renforcer son étau sur le Net. Vendredi 28 décembre, l’agence de presse officielle Xinhua a annoncé que les autorités allaient faire passer une loi autorisant la suppression des pages contenant des informations jugées "illégales". Plus tôt, le parti voulait faire passer une loi pour obliger les internautes à dévoiler leur véritable identité lors de leur inscription auprès des fournisseurs d’accès à Internet. Et, depuis septembre, c’est l’accès aux sites étrangers qui est de plus en plus restreint.
"Soit les autorités cherchent à donner un cadre légal à des mesures répressives déjà existantes [la liberté d’expression est théoriquement la norme en Chine et la restreindre est contraire à la Constitution, NDLR] ; soit la frange conservatrice du Parti communiste chinois (PCC) fait des tests pour mesurer la résistance qu’on leur oppose avant l’entrée en fonction des nouveaux cadres, en mars", analyse le sinologue et spécialiste d’Internet chinois, Renaud de Spens*, qui vit et travaille à Pékin.
Les faux espoirs du 18e Congrès du PCC
La Chine a renouvelé les cadres du parti, lors du 18e Congrès du PCC de novembre qui a nommé Xi Jinping président. Un changement qui a alors été porteur d’espoir. De nombreux responsables se sont engagés à plus de transparence, laissant espérer chez les observateurs extérieurs et chez les dissidents une nouvelle ère : celle de la liberté de parole, de la liberté de la presse et de l'assouplissement d’un régime qui contrôle complètement les médias.
Des vœux restés pour l’instant lettre morte. Face au flot de critiques véhiculées sur la Toile, les autorités ont, en effet, montré une nervosité croissante. Pendant le Congrès, le trafic sur Internet a été plus ralenti que jamais et les internautes n’ont pas eu accès à Google. Prenant prétexte de la réélection de Barack Obama, des milliers d’internautes chinois en ont profité pour railler la transition chinoise, tirant également à boulet rouge sur la corruption qui ronge les hautes sphères du pays. Une mauvaise publicité pour Pékin qui a répliqué par un écran noir.
Les internautes n’ont pas tardé à réagir, fustigeant des mesures qui brident les rares moyens de communication avec l'extérieur. "On passe au moins une heure par jour à tenter de se connecter, particulièrement sur les sites étrangers. Pour les entrepreneurs qui travaillent avec l’étranger, c’est à se taper la tête contre les murs !", s’insurge Renaud de Spens.
Une tradition de censure… et de contournement
Rien de surprenant néanmoins pour les internautes en Chine déjà soumis à une censure draconienne qui bloque, notamment, les accès à Twitter, Facebook ou YouTube. En mars dernier, les autorités chinoises avaient déjà imposé la fermeture de seize sites et arrêté six personnes sous prétexte de "création et de propagation de rumeurs". Dans la foulée, elles ont tenté d’interdire l’anonymat sur les réseaux sociaux. Mais face à la levée de boucliers, la mesure n’a pas été appliquée.
Les dernières mesures sont toutefois plus insidieuses et affectent un public plus restreint. "C’est moins le Chinois lambda qui est affecté que les personnes en contact avec l’étranger. C’est d’ailleurs préjudiciable pour le commerce extérieur et le nouveau modèle économique chinois. Les hauts dignitaires chinois s’en rendent compte et ils commencent à assouplir les restrictions", poursuit le spécialiste, confiant dans l’avenir.
La Chine compte, en effet, plus d’un demi-milliard d’internautes et plus de 300 millions de personnes enregistrées sur Weibo, le site de microblogging chinois. Face à la censure, c’est l’imagination et la créativité qui prennent le pouvoir. "La Toile chinoise est tellement vaste qu’elle est impossible à contrôler, conclut Spens. Des réformes sont nécessaires. Mais d’ici là, avec de la patience, il y a toujours un moyen de contourner la censure et d’accéder à l’information que l’on cherche."
*Renaud de Spens est l'auteur du Dictionnaire impertinent de la Chine, éditions François Bourin, 2012.