
Le principal syndicat tunisien a appelé à la grève générale sur l'ensemble du territoire le 13 décembre prochain. Une initiative qui constitue un vrai défi lancé aux islamistes d'Ennahda, avec qui les syndicalistes sont entrés en conflit ouvert.
Le syndicat UGTT a annoncé mercredi 12 décembre que la grève générale, prévue pour le lendemain, était annulée.
La date ne doit rien au hasard. La grève générale à laquelle a appelé, le 6 décembre, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) se tiendra jeudi prochain… jour de la visite annoncée de la secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, à Tunis, visite finalement annulée pour des raisons de santé (voir encadré). De quoi accentuer la pression sur le gouvernement, dominé par le parti islamiste Ennahda, avec lequel le principal syndicat du pays livre actuellement un âpre bras de fer.
L’UGTT mise sur une démonstration de force pour dénoncer l’assaut mené contre son siège à Tunis, le 4 décembre, en marge des commémorations du 60e anniversaire de l’assassinat du leader syndicaliste Farhat Hached. Ce jour-là, plusieurs membres de la Ligue de protection de la révolution (LPR), réputée proche d’Ennahda, ont chargé, armés de couteaux et de bâtons, des responsables de l’UGTT avant de s’en prendre aux locaux de l’organisation, où s’étaient réfugiés plusieurs syndicalistes.
"Milices contre milices"
La secrétaire d'État américaine a annulé, en raison d'un "virus gastrique", son voyage prévu cette semaine au Maghreb. "Ne se sentant pas très bien, elle va se reposer cette semaine au lieu de se rendre en Afrique du Nord et au Moyen-Orient comme cela était initialement prévu", a annoncé, mardi 11, Philippe Reines, porte-parole du département d'État dans un communiqué.
Depuis, les deux camps s’accusent mutuellement d’être à l’origine de ces violents affrontements durant lesquels une vingtaine de personnes ont été blessées. Dès le lendemain de l’accrochage, les dirigeants de la centrale syndicale, qui revendique un demi-million d’adhérents, a dénoncé une "agression sauvage [...] perpétrée par des milices criminelles nahdaouies". Comme s’il sonnait le début officiel des hostilités, Houcine Abassi, secrétaire général de l’UGTT, s’est même exclamé : "la porte des affrontements est ouverte, c’est eux qui l’ont voulu !"
De son côté, le chef du parti islamiste, Rached Ghannouchi, a pointé la responsabilité de l’organisation : "il semblerait que ce sont des milices entraînées de l'UGTT qui ont ciblé des citoyens." Et d’ajouter : l'"UGTT doit être une organisation syndicale et non pas un parti de l'opposition radicale".
De fait, Ennahda accuse régulièrement la centrale syndicale d'attiser les tensions sociales dans les régions déshéritées du pays, où les espoirs déçus de la révolution donnent lieu à des manifestations de colère. Dès le 6 décembre, la plupart des établissements publics et privés de Sidi Bouzid (centre-ouest), berceau de la révolution, Kasserine, Gafsa et Sfax (sud), étaient restés portes closes à l’appel de l’UGTT.
À Siliana, au sud-ouest de Tunis, le mouvement social entamé par des opposants au gouvernement a dégénéré en violents affrontements avec les forces de l’ordre. Quelque 300 personnes ont été blessées et 14 manifestants interpellés durant les cinq jours de contestation, fin novembre. Alors qu'il couvrait les événements avec l'un de ses confrères tunisiens, le correspondant de FRANCE 24, David Thomson, a été grièvement touché aux jambes par la police qui, selon son témoignage, tirait des balles de chevrotine "aveuglément" sur la foule.
"Cheville ouvrière de la révolution"
En attendant le 13 janvier, l’appel lancé par l’organisation a reçu le soutien de la Confédération syndicale internationale (CSI). Sa secrétaire générale, Sharan Burrow, a d’ores et déjà fait part de son intention de se rendre à Tunis pour l’occasion. "Ces attaques répétées contre l'UGTT, cheville ouvrière de la révolution qui continue de mener la lutte en faveur d'une véritable démocratie et d'une justice sociale, sont totalement inacceptables, a affirmé la dirigeante de la CSI. Alors que les Tunisiens s'apprêtent à fêter le 14 décembre le deuxième anniversaire de leur révolution, le mouvement syndical international réaffirme son soutien et sa solidarité avec l'UGTT, acteur clé de la construction d'une Tunisie juste et libre."
L"'appel à la grève générale est un travail politique, surtout lorsqu'elle a des motivations politiques et non sociales, s’est au contraire offusqué Rached Ghannouchi. Une grève générale ne fera pas changer le gouvernement; en démocratie le changement de gouvernement ne se fait que par une motion de censure ou des élections."
Par deux fois seulement, l'UGTT a appelé, depuis sa création en 1946 par Farhat Hached, à une grève nationale. La première en 1978, dont la répression menée par le régime de Habib Bourguiba avait fait des dizaines de morts ; la seconde, le 12 janvier 2011… deux jours avant la chute du régime de Ben Ali.