
À partir de vendredi 7 décembre, les Ghanéens sont appelés aux urnes pour la sixième fois depuis le début de la quatrième république en 1992. Malgré une décolonisation houleuse, la démocratie s’est peu à peu instaurée jusqu’à devenir incontournable.
Il est l’un des premiers pays d’Afrique à s’être libéré, en 1957, de ses colonisateurs britanniques. Depuis, le Ghana a parcouru un long chemin vers la démocratie secoué notamment par le putsch du colonel Ignatius Acheampong en 1972, puis par celui de Jerry Rawlings en 1981. Deux étapes traumatisantes qui ont pourtant posé les bases, dans la douleur, d’un système démocratique envié et respecté à travers tout le continent africain.
En l’espace de deux décennies, le pays en est à son sixième scrutin multipartite et a déjà connu deux alternances au pouvoir. "Les Ghanéens sont fiers et conscients de leur maturité politique et se voient comme un véritable modèle pour la région", confie Ruby Sandhu-Rojon, coordinatrice des Nations unies dans la capitale ghanéenne, Accra. Au-delà d’une volonté affichée du peuple ghanéen de préserver ce statut exemplaire, plusieurs facteurs peuvent expliquer cette stabilité politique.
Des institutions efficaces
Très respectées, les différentes institutions ghanéennes brillent par leur bon
itfonctionnement. La Commission électorale, qui chapeaute notamment la présidentielle du 7 décembre, est perçue comme "un organe solide et crédible", explique Ruby Sandhu-Rojon. "Près de 60 % de la population fait confiance à cette institution", précise-t-elle, s’appuyant sur une récente étude de l’Afrobarometer, institut dédié aux sondages sur la démocratie et la gouvernance africaine.
En dehors des instances politiques, il faut également considérer le rôle majeur des autres institutions qui représentent de véritables "forces de stabilisation, comme l’armée ghanéenne, les médias ou encore les différentes ONG qui défendent efficacement justice et droits de l’Homme", ajoute Ruby Sandhu-Rojon. En outre, les organisations de la société civile, comme les Églises, qui s’attachent à relayer des messages de paix, sont particulièrement influentes.
Des décideurs aguerris
Autre facteur de la réussite démocratique du Ghana : ses leaders politiques dont la bonne entente n’est pas qu’un écran de fumée, assure Ruby Sandhu-Rojon. Un argument également soutenu par Hélène Quénot-Suarez, chercheuse spécialiste de l’Afrique subsaharienne à l’Institut français des relations internationales (Ifri). "Les hommes politiques ghanéens sont bien formés et l’étaient déjà avant les indépendances. On a donc une élite politique très éduquée, ce qui permet, entre autres, de gagner en crédibilité sur la scène internationale", ajoute-t-elle.
Ce vendredi 7 décembre, le nom du nouveau chef de l’État devrait être révélé parmi les huit candidats en lice. John Dramani Mahama, président par intérim depuis la mort en juillet de John Atta Mills, et Nana Akufo Addo, soutenu par l’ancien président John Kufuor, font figure de favoris.
Mais les dirigeants politiques ne sont pas les seuls garants de la démocratie. "Le Ghana accorde une place capitale aux chefs de ses différentes communautés, notamment les Ashantis, qui sont très proches du peuple. La chefferie joue un grand rôle de régulateur des tensions qui peuvent apparaître", explique Pierre Jacquemot, également spécialiste de l’Afrique à l’Iris (Insitut de relations internationales et stratégiques) et auteur du livre "Ghana, les chemins de la démocratie" (2008, L’Harmattan).
Malgré le rôle important des décideurs, "les institutions et le jeu politique transcendent les personnalités individuelles", selon Hélène Quénot-Suarez. "On voit bien que le décès du président Atta Mills n’a pas remis en cause la tenue des élections ou l’existence de son parti", cite-t-elle à titre d’exemple.
Une économie florissante
Cependant, toute la bonne volonté du peuple ghanéen et de ses leaders ne suffirait pas sans une économie prospère. "La croissance est forte et les investisseurs confiants", affirme Ruby Sandhu-Rojon. Du même avis, Pierre Jacquemot a noté un véritable tournant économique depuis 2006. "L’exploitation pétrolière est devenue une véritable ressource, ce qui permet au gouvernement de réaliser beaucoup plus de choses", argumente-t-il. "Mais le fruit de la croissance doit être équitablement partagé avec la population", tempère Ruby Sandhu-Rojon, pour qui le gouvernement doit encore se confronter à des défis de taille, notamment sur les questions sociales telles que la mortalité maternelle ou la pauvreté.
Bien que le Ghana réunisse de nombreux signes encourageants, reste à savoir si sa stabilité sera pérenne. Selon Anne Hugon, professeur à la Sorbonne et spécialiste de l’Afrique au CNRS, "le Ghana, comme en Côte d’Ivoire et au Mali, n'est pas à l'abri de flambées de violence qui pourraient prendre de l'ampleur à la faveur de tensions dites 'ethniques' dans certaines régions, notamment dans le Nord." Si elle salue la bonne organisation démocratique des différents scrutins que le pays a connu ces dernières années, Anne Hugon tempère toutefois les réactions parfois trop optimistes. "Les programmes des candidats ne sont pas si différents les uns des autres, et une fois au pouvoir, il n'est pas rare que le népotisme prenne une grande place..." Dans les années 60, le père de l’indépendance Kwame Nkrumah, élu démocratiquement à la tête de l’ancienne Côte d’Or, "s’est progressivement comporté en dictateur avec un parti unique et la répression des opposants", rappelle-t-elle.
Mais pour Ruby Sandhu-Rojon, la démocratie est avant tout "un long apprentissage et un processus en constante consolidation" qui nécessite de rester vigilant à toutes sortes de dérives. "Les Ghanéens progressent un peu plus à chaque nouveau scrutin."