Pointés du doigt pour leur rôle dans la crise financière, les produits dérivés, ces instruments financiers complexes, se portent mieux qu'avant 2008, selon les données officielles du Trésor américain.
Ils sont de retour, et plus nombreux qu'avant la crise. Les dérivés, ces produits financiers complexes dont les subprimes sont l’exemple le plus connu, se portent bien mieux en 2012 qu’au plus fort de la tourmente financière de 2008.
Les banques et autres institutions financières américaines détiennent, au deuxième semestre 2012, davantage de dérivés qu'au summum de la crise des subprimes (222 000 milliards de dollars en 2012 contre 203 000 milliards de dollars en 2008), d’après les chiffres officiels du département du Trésor américain, publiés en fin de semaine dernière. Un comble, sachant que ces instruments financiers sont considérés comme les acteurs majeurs de la crise de 2008.
“C’est la démonstration incontestable que les soi-disant efforts pour réguler la finance internationale sont, à l’heure actuelle, un échec", estime Pascal de Lima, économiste spécialiste du secteur bancaire et enseignant à Sciences-Po Paris, interrogé par FRANCE 24. "On en est encore au stade des déclarations de principe plus de trois ans après le début de la crise”, poursuit-il, critique.
La bonne santé de ce secteur d’activité boursière pose la question de l'utilité de la loi américaine Dodd-Frank, adoptée en 2010 et présentée par le président des États-Unis Barack Obama comme un remède aux excès de la finance. Ce texte comporte, en effet, toute une série de mesures consacrée aux produits dérivés qu’il entend mieux encadrer. “Rien de ce qui est écrit dans cette loi n’a encore été mis en application sur ce point précis de l’activité des banques”, explique Pascal de Lima.
Le spécialiste français note, par ailleurs, que ce phénomène ne concernent pas seulement les États-Unis puisqu’au niveau mondial, le ratio entre Produit intérieur brut (PIB) et dérivés est passé de 1/20 en 2008 à 1/30 aujourd’hui. “Cette progression de produits qui symbolisent la spéculation et la recherche du gain financier le plus rapide illustre parfaitement à quel point Wall Street ne tire aucune leçon de la crise de 2008 du moment qu’il y a de l’argent à gagner”, affirme Pascal de Lima.
Quatre banques concentrent 90 % des dérivés
Pour autant, il ne faut pas jeter les dérivés avec l’eau des subprimes. Ces produits financiers ne sont pas néfastes dès leur naissance. “La plupart d’entre eux permettent en fait d’améliorer les liquidités des banques en transformant, notamment, certaines dettes en titres échangeables”, rappelle ainsi Pascal de Lima.
Les dérivés qui font, aujourd’hui, le bonheur des banques sont loin d’être tous des subprimes en puissance, ces titres pourris construits autour de prêts hypothécaires accordés à des ménages à faibles revenus. Dans la majorité des cas, les dérivés version 2012 sont liés à l’évolution des taux d’intérêt, “ce qui est avant tout une manière de se prémunir contre les fluctuations des marchés”, explique un trader souhaitant garder l’anonymat, faisant allusion à la volatilité des bourses mondiales.
Pour lui, "le danger vient plutôt de la très forte concentration de ces titres entre quelques mains seulement". Quatre banques américaines détiennent ainsi 90 % de tous les dérivés actuellement sur le marché. JPMorgan Chase, Bank of America, Citibank et Goldman Sachs sont ainsi les rois incontestés de ce jeu boursier.
“Pour qu’on en arrive à de tels niveaux avec seulement quatre acteurs, il n’y a pas seulement des dérivés, mais probablement aussi des dérivés de dérivés et là, cela devient dangereux car si un de ces produits s’effondre, il risque d’entraîner tout le reste dans sa chute”, prévient Pascal de Lima. Selon lui, l’effondrement de l’une de ces banques aurait alors des conséquences bien plus graves qu’en 2008 avec la faillite de Lehman Brothers.