, à Aulnay-sous-Bois – PSA Peugeot Citroën a annoncé à 8h15 jeudi matin, la cessation d’activité de l’usine d’Aulnay-sous-bois (Seine-Saint-Denis) en 2014. Pour l'équipe du matin, la nouvelle a été reçue comme un choc avant de laisser place à la colère. Reportage.
"On est foutu… J’ai un crédit sur 30 ans pour payer ma maison, j’ai deux enfants. Comment je vais m’en sortir maintenant ? Ils sont en train de creuser nos tombes…" Desormis Sevenor, 10 ans de carrière chez PSA Peugeot Citroën, les yeux rougis par les larmes, ne réalise toujours pas la nouvelle. Jeudi matin, la direction de l'entreprise a annoncé l’arrêt de la production, en 2014, de son usine d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), qui emploie 3 500 salariés, et la suppression de 8 000 emplois en France. Pour les salariés de l’équipe matinale, regroupés sur le parking de l’usine, c’est une "bombe sociale" qui vient d’exploser sous leurs yeux.
"La direction s’est réunie à 8 heures, et à 8h15 on nous a appris que tout était terminé. Ils nous ont dit qu’ils nous laissaient une heure pour prévenir nos familles et qu’après il fallait reprendre le boulot", raconte, interloqué, Patrick Planque, salarié syndiqué à la Confédération générale du travail (CGT), en combinaison grise de travail. "J’ai même pas eu le courage d’appeler ma femme, elle est enceinte, j’ai peur qu’elle fasse une fausse couche en l’apprenant aussi brutalement", confie, à ses côtés, Ali Aleeski, embauché en 2002, et père de trois enfants.
"Aidez-nous, monsieur le maire !"
Curieusement, aucune banderole ne flotte ce matin sur les bâtiments gris de l’usine. Seul le ciel bas et lourd s’accorde à l’ambiance délétère. "Ils nous ont un peu pris de court", explique Saadi, un jeune ouvrier d’une trentaine d’années. "On ne s’attendait pas vraiment à une annonce ce matin. On n’a pas eu le temps de s’organiser. Personnellement, j’ai pas la tête à décorer les murs." Devant l’usine, le même refrain est entonné par les dizaines de salariés qui, malgré la pluie, enchaînent interviews sur interviews face aux journalistes venus en nombre reccueillir leurs impressions.
Volubiles, ils dénoncent pendant de longues minutes les "patrons voleurs" et les "voyous d’en haut". Tous s’en prennent aussi aux "magouilles" de l’entreprise, en "bonne santé" selon eux. "C’est toujours la même histoire, ils veulent faire du profit. Qu’on nous prouve que PSA va mal, je veux que l’on ouvre les livres de comptes", enrage Ali Elaaski, qui tente par la même occasion de prendre à partie le maire de la ville, Gérard Ségura, venu soutenir les salariés.
Un peu désarmé face à la situation, un peu bousculé aussi, l’édile rassure comme il le peut, promet son soutien, dénonce "la misère sociale" qui est en train de s’installer dans sa ville. "Aidez-nous, monsieur le maire ! S’il vous plaît, ne nous laissez pas tomber", entend-t-on dans la foule massée autour de lui.
PSA assure "ne laisser personne sur le carreau"
Si PSA a prévu de ne "laisser personne sur le carreau", peu sont disposés à le croire. Pourtant, lors de la réunion extraordinaire de la matinée, la direction a promis de reclasser 1 500 personnes en interne, c’est-à-dire à l’usine de Poissy, où toute la production sera désormais concentrée, et les 1500 autres dans le bassin d’emploi d’Aulnay.
De la poudre aux yeux, selon Mekbel Moussa, 18 ans de carrière dans la maison PSA. "La Seine-Saint-Denis est une des régions les plus touchées par le chômage. Comment va faire PSA ? Ils vont sortir une baguette magique et hop, nous trouver 1 500 postes ici ? On n’est pas des lapins de six semaines !"
Desormis Sevenor ne croit pas non plus à la "solution miracle" du reclassement en interne. "J’habite dans l’Oise. Pour venir à Aulnay, j’avais 25 minutes de trajet et je devais être à mon poste à 6h45. Si on me transfère à Poissy [à 40 kilomètres environ d’Aulnay], je devrais me lever tous les matins à 3h.
Je vais tenir combien de temps comme ça ?", angoisse-t-il déjà.
"On a voté pour Hollande, à lui maintenant de nous tendre la main"
Peu d'entre eux comptent sur le soutien du gouvernement. Et beaucoup mettent "dans le même panier" Nicolas Sarkozy et François Hollande, "deux pantins qui travaillent pour les plus riches". Seule une poignée d’ouvriers espère une aide du gouvernement socialiste. "On a voté pour Hollande, on l’a aidé pour qu’il soit élu. Maintenant, c’est à son tour de nous tendre la main", lance Ali, un salarié d’une cinquantaine d’années, une pancarte à la main. "Mais, pour l’instant, c’est son silence qui me consterne." Un silence qui aura duré jusqu'à 18h, avant que l'Élysée ne se fende d'un communiqué faisant part de sa "vive préoccupation".
Tous ont promis de se battre "jusqu’à ce que les choses changent". Certains ont même décidé d'entrer "en guerre contre PSA", arguant du fait que l’entreprise n’a aligné que "mensonge sur mensonge depuis des mois". En juin 2011, en effet, la CGT avait rendu public un document confidentiel annonçant cette fermeture de l’usine, mais la direction avait, à l’époque, démenti.
Mais, pour le moment, leur plan de bataille n’est qu’une ébauche, les leaders syndicaux peinant à s’accorder sur la conduite à suivre. Les uns, comme Mohamed Khenniche, secrétaire général du syndicat SUD, réclament la grève illimitée, mais d’autres voient dans l’arrêt de travail à durée indéterminée une accélération vers la "misère sociale" tant redoutée. Desormis Sevenor fait partie de ces derniers. "Si je fais grève, je ne serai pas payé. Je ne pourrai donc pas subvenir aux besoins de ma famille. Je ne tiendrai pas longtemps devant l’amoncellement de factures", explique-t-il avant de reprendre, le regard lourd d’amertume : "Mais si je reste les bras croisés et que je reprends le travail, je les laisse gagner. Ce qui est terrible avec ces gens-là, c’est qu’au bout du chemin, ils sont toujours victorieux."