L'élection de l'Assemblée constituante libyenne se tiendra le 7 juillet, dans un pays en proie à un regain de violence. Le journaliste Kamel al-Meraach évoque pour FRANCE 24 les enjeux du premier scrutin de l'ère post-Kadhafi.
Les Libyens sont appelés à élire les 200 membres du premier Congrès général national (Assemblée constituante) le 7 juillet. Il s’agit d’une grande première dans le pays, dirigé d’une main de fer pendant 42 ans par le colonel Mouammar Kadhafi, sous le règne duquel toute élection directe était proscrite. Le scrutin, prévu initialement le 19 juin, a été reporté pour des raisons techniques et logistiques. Mais ce n’est pas tout : la Libye traverse une période instable du fait d’un regain de violence sur fond de rivalités tribales.
Interrogé par FRANCE 24, l’écrivain et journaliste indépendant libyen Kamel al-Meraach prévient que l'élection de l'Assemblée constituante ne mettra pas un terme à l’escalade de la violence dans le pays, en raison du refus des milices et des tribus armées de se soumettre à l'autorité de la loi. Il prévoit par ailleurs que le scrutin devrait se solder par un raz-de-marée islamiste.
FRANCE 24 : Pensez-vous que l'élection à l'Assemblée constituante pourra se tenir comme prévu le 7 juillet prochain, malgré l’escalade de la violence dans le pays ?
Kamel al-Meraach : Il existe un consensus quasi-général en Libye pour que le calendrier du scrutin soit respecté. Cette élection est, en effet, perçue comme la dernière chance de résoudre les problèmes qui plombent le pays, notamment la question de la violence et celle de la crise économique. D'autre part, le gouvernement de transition et le Conseil national de transition (le CNT, qui dirige la Libye depuis la chute du régime Kadhafi en octobre 2011, NDLR) cherchent, à travers cette élection, à légitimer leur pouvoir. Par conséquent, ils sont déterminés à organiser le scrutin dans les délais prévus.
D’aucuns doutent de la capacité des autorités actuelles à organiser une élection transparente. Qu’en pensez-vous ?
K. M. : C’est une question essentielle. Est-il possible d’organiser une élection de cette importance dans la transparence et l’équité au milieu d’un tel chaos sécuritaire ? La réponse est qu’il y a encore des doutes sur le fait que le scrutin puisse se dérouler dans de bonnes conditions dans certaines régions, et pas seulement en raison du climat de violence qui y règne. Notamment à Al-Koufrah, Zintan et Benghazi, où certaines parties tentent d'imposer un système fédéral. En outre, se pose la question de l’émission d'environ 2,7 millions de cartes d’électeurs. Très élevés, ces chiffres ne sont pas conformes à la réalité du terrain et laissent craindre des fraudes, sachant que le peuple libyen ne dépasse pas les 6 millions d’habitants. Enfin, le dernier enjeu concerne la participation. Le citoyen moyen ne sait pas où va la Libye. Les gens sont plus préoccupés par leur vie quotidienne et se soucient peu de cette élection.
Le courant islamiste est-il assuré de remporter la bataille électorale ?
K. M. : Le Parti de la justice et du développement, qui comprend les Frères musulmans et des militants islamistes qui ont renoncé à conquérir le pouvoir par la violence, fait face à une alliance de partis démocratiques et libéraux. Je ne vois pas la confrérie, qui a jeté toutes ses forces dans la bataille, ne pas remporter la majorité des sièges de la constituante. L’enjeu, pour les islamistes, est non seulement d’avoir les coudées franches pour peser sur la rédaction et sur l’esprit de la nouvelle Constitution, mais également de prendre le leadership de la phase de transition qui s'étendra sur une année et qui offrira le contrôle de l'organisation des élections législatives et de la présidentielle.
Pensez-vous qu’à terme, la réussite éventuelle de l’élection du 7 juillet contribuera à mettre un terme aux violences en Libye ?
K. M. : Non, loin de là hélas ! La violence est enracinée dans la société libyenne. Je crains que le verdict du scrutin n’aggrave encore la crise et qu’il provoque des batailles entre les tribus. Je pense notamment aux puissantes tribus de Zintan et de Misrata, qui refusent de placer leurs armes sous l’autorité des ministères de la Défense et de l'Intérieur, ce qui contribue à entretenir le chaos actuel et le climat d’insécurité. Cette élection n'aura pas d'effet significatif si ces milices ne désarment pas, avant de s’auto-dissoudre.