logo

Patrick Buisson, le stratège qui divise la droite

Héraut de la droite dure, l'homme qui murmure à l'oreille de Nicolas Sarkozy s'attire les critiques de l'aile centriste de l'UMP, qui l'accuse d’avoir éloigné le parti de la majorité de ses valeurs républicaines.

À droite toute ! Pendant l’entre-deux tours de l'élection présidentielle française, Nicolas Sarkozy a choisi de renforcer la stratégie de campagne soufflée par son très discret conseiller Patrick Buisson, chantre de la droite dure. L’objectif affiché du président-candidat : "siphonner" les voix de Marine Le Pen, sollicitée par près de 18 % des électeurs lors du premier tour, le 22 avril, en adoptant la rhétorique du Front national (FN). Au grand dam de membres éminents de l’UMP, partisans d’une réorientation centriste de la campagne.

L’après-midi du premier tour, alors que l’humeur de Nicolas Sarkozy se dégrade au fur et à mesure que tombent les estimations de vote, son très controversé sherpa prend la parole : "On peut encore gagner, lui glisse-t-il, selon des propos rapportés par "Le Canard Enchaîné". Une chance existe si on en finit avec nos pudeurs de pucelles. Salissez-vous les mains, allez chercher les voix lepénistes, même si elles vous dégoûtent !" Ainsi soit-il. Nicolas Sarkozy, très à l’écoute de l’ancien directeur de l’hebdomadaire d’extrême droite "Minute", suit ces conseils à la lettre.

La chasse aux lepénistes

Dès le lundi 23 avril, lors d’un déplacement en Touraine, le chef de l'État sortant affirme comprendre le "cri de souffrance" et la "colère" des électeurs du FN. Puis d'entrer dans le vif du sujet en fustigeant "l’assistanat" et en sacrant le "vrai travail" érigé en thème d’un rassemblement le 1er mai.

Le lendemain, en déplacement à Longjumeau, en région parisienne, Nicolas Sarkozy parle d'immigration, de sécurité, et d'une Europe "qui ne doit pas être une passoire […] ouverte à tous les vents" et "qui bafoue ses racines chrétiennes". Prévenant de son "intention de parler aux électeurs de Marine Le Pen", il assure ne pas voir de "sujets tabous" dont "il serait interdit de parler", taclant au passage la "gauche bien pensante".

Ce mercredi, le quotidien "Libération" accuse Nicolas Sarkozy de contribuer à la stratégie de dédiabolisation du FN. Le journal pointe ses propos tenus à Longjumeau : "Si il y a une candidate du Front national, c'est qu'elle avait le droit d'être candidate. Donc à partir du moment où vous vous présentez aux élections, vous avez le droit de vous présenter à l’élection, à ma connaissance, vous êtes compatible avec la République." Accusé d’avoir franchi le "cordon sanitaire" instauré par son prédécesseur Jacques Chirac, qui coupe le FN du reste de la droite, le président-candidat a toutefois exclu toute idée d’accord avec le parti d’extrême droite en vue des législatives.

Buisson, celui à qui Sarkozy "doit plus qu’à tout autre"

La position de Nicolas Sarkozy dans cet entre-deux tours s'inscrit dans la lignée du credo défendu corps et âme par Patrick Buisson depuis ses plus jeunes années : l’unification de toutes les droites. Pour lui, comme le décrivait l'hebdomadaire "Le Nouvel Observateur" qui lui a consacré un portrait en 2008, "les électeurs du FN sont pour l'essentiel d'anciens électeurs du RPR [l'ancêtre de l'UMP] déçus par le recentrage et l'évolution pro-européenne de Chirac, pour le reste d'anciens communistes nostalgiques du temps où le PC [Parti communiste] était conservateur, autoritaire et nationaliste."  Une logique qui va gouverner la parole sarkozyste de ces derniers mois : la campagne "du peuple", c’est lui. L’idée du référendum sur l’immigration, c’est encore lui. Le président des frontières, toujours lui...

Cette stratégie, Buisson l’avait déjà éprouvée en 2007. Seule personnalité de droite à avoir prévu le "non" au référendum européen en 2005, le conseiller élyséen a été l’artisan principal de la campagne pour la présidentielle précédente, remportée haut la main par Nicolas Sarkozy face à Ségolène Royal, grâce, notamment, aux voix du FN.

Élu, le président a su remercier son stratège de campagne en l’élevant, en 2007, à l'ordre de chevalier de la Légion d’honneur. L'occasion pour le chef de l'État de couvrir d’éloges "celui à qui [il] doit plus qu’à tout autre". Aujourd’hui, l’aile droite de l’UMP applaudit la campagne 2012 inspirée par Patrick Buisson. Tel l’ancien ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, qui partage la fascination de Nicolas Sarkozy à l’égard de son inspirateur : "Si Nicolas n'avait pas fait la campagne que lui recommandait Buisson, il n'aurait sans doute pas été au second tour, affirme-t-il. C’est Buisson qui avait raison."

Plus d’un membre de l’UMP reste, en revanche, circonspects face à l’influence dont le conseiller jouit auprès du président candidat. "C’est un gourou total ! confie anonymement un membre de son équipe de campagne au journal 'Le Parisien'. Il a une influence irrationnelle sur le président, qui l’appelle trois fois par jour". Le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, et le chef du gouvernement, François Fillon, accuseraient même Patrick Buisson d’avoir favorisé l’extrême droite au premier tour. "Voilà où Buisson nous a conduits, râle Alain Juppé le 22 avril au soir, selon 'Le Canard Enchaîné'. Il devait faire baisser le Front et Marine Le Pen fait 1,6 million de voix de plus que son père [en 2002, NDLR]". François Fillon renchérit, toujours selon "Le Canard Enchaîné" : "Ça ne sert à rien de s’opposer à Buisson. Nicolas n’écoute que lui. Je constate la grande réussite de Buisson : à défaut d’avoir fait baisser le FN, il nous explique que, sans lui, le FN serait encore plus haut. Il se goure."

Fronde dans l’aile centriste de l’UMP

Un vent de fronde souffle donc au sein de la majorité. "L'extrême droite n'est forte que quand la droite est faible, quand elle n'a pas sa propre pensée, sa propre vision du monde," prévient l’ancien ministre Patrick Devedjian, s’adressant au président au soir du premier tour. Chantal Jouanno, ancienne ministre des Sports, prend également ses distances avec le virage opéré par Sarkozy. "La droite doit rester elle-même et porter ses propres valeurs […] Je ne pense pas que la réponse soit dans la droitisation de nos propres idées", déclare-t-elle en début de semaine sur la chaîne Public Sénat. Propos qu'elle réitère sur Twitter le 24 avril en affirmant qu’elle votera socialiste aux législatives en cas de duel FN-PS. Par ailleurs, l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Rafarin estime qu’il est "impossible de gagner sans François Bayrou" et que Nicolas Sarkozy doit "prôner des valeurs humanistes". Nathalie Kosciusko-Morizet, porte-parole du candidat Nicolas Sarkozy, se retrouve elle aussi prise au piège d’une droitisation de la campagne de son candidat. Dans son livre "Front antinational", paru en juin 2011, elle y dénonçait la stratégie de "la corruption arithmétique" que pouvait être l’addition des voix de l’UMP à celles du FN.

Mais l’ancienne ministre de l’Écologie n’a pas bronché lorsqu’à Longjumeau, la ville dont elle est maire, Nicolas Sarkozy a usé de toute son éloquence sur le thème "anti-immigration" pour appâter les électeurs de l’extrême droite.

François Fillon et Alain Juppé ont quant à eux essuyé la colère du président-candidat au soir du premier tour. "Et dire que certains voulaient que je fasse campagne au centre…", aurait-il persiflé devant ses deux ministres. Et Alain Juppé n’a pas arrangé son cas en évoquant les risques d’explosion de l’UMP en cas de défaite le 6 mai. "Il ferait mieux de se concentrer sur le second tour", a rétorqué, cinglant, le président sur France 2. Pour nombre de commentateurs, en jouant la carte de l’extrême droite, comme le suggère Patrick Buisson, Nicolas Sarkozy tente un dangereux quitte ou double. S’il vient à le perdre, le conseiller favori de l’actuel président risque gros. C’est d’ailleurs ce que prédit un proche de Nicolas Sarkozy, dans les colonnes du "Parisien" : "Une fois la défaite passée, Buisson disparaîtra des écrans radars et retournera dans son appentis d’extrême droite."