Avec 17,90 % des voix, Marine Le Pen décroche la troisième place du scrutin présidentiel et s'offre un rôle d’arbitre du second tour. Sylvain Crépon, spécialiste de l’extrême droite, décrypte les clés et les enjeux de ce succès.
Dès sa première présidentielle, Marine Le Pen a frappé un grand coup. Elle a en effet enregistré 17,90 % des voix dimanche au premier tour du scrutin, le plus fort taux obtenu par le Front national (FN) sous la Ve République. Un score et une troisième place qui lui offrent un rôle d’arbitre du second tour et une dynamique victorieuse avant les législatives. Sylvain Crépon, chercheur à l’université de Paris-Ouest, spécialiste de l’extrême droite décrypte pour FRANCE 24 les clés de ce succès et la stratégie future du FN.
FRANCE 24 : Le résultat historique enregistré par Marine Le Pen était-il prévisible ?
Sylvain Crépon : Ce succès n’est pas surprenant, car la montée en puissance de Marine Le Pen était annoncée à juste titre par des observateurs et des analystes. Il était prévisible car il reste dans des proportions identiques à ceux de l’extrême droite en 2002, si l’on additionne les résultats de son père Jean-Marie Le Pen et ceux de Bruno Mégret. Elle doit ce résultat à l’électorat traditionnel du FN, c'est-à-dire des ouvriers, des chômeurs, des employés, des jeunes précarisés et non-diplômés et des artisans, qui se situent à l’est d’une ligne Le Havre-Perpignan. Toutefois, malgré l’ampleur de ce score, je persiste à croire qu’il ne s’agit pas d’un vote d’adhésion aux solutions préconisées par son parti, mais bel et bien d’un vote protestataire contre les partis politiques traditionnels. Ce score est une sorte de climax, au-delà duquel le FN n’a pas de marge de manœuvre. Car certains électeurs reconnaissent que Marine Le Pen se préoccupe de leurs problèmes comme la précarité, l’insécurité et l’immigration, mais ils ne lui reconnaissent pas encore une aptitude à gouverner.
F24 : Peut-on affirmer qu’il s’agit d’une victoire personnelle pour Marine Le Pen ?
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L'état des forces à droite
S.C : Indéniablement, il s’agit d’un succès pour sa formation, car ce score est symbolique et sans précédent. Mais c’est sans aucun doute une victoire personnelle aussi qui lui permet, d’une part, de se dégager de l’emprise de son père et de marginaliser la vieille garde frontiste qui n’avait pas validé sa stratégie de dédiabolisation. Forte de cette légitimité et de cette autorité, elle a désormais les coudées franches à la tête du FN. Je note qu’elle a réussi à récupérer les voix siphonnées par Nicolas Sarkozy en 2007 et à glaner un électorat, qui était réticent à voter pour son père, grâce à son image moins sulfureuse. Ce qui signifie que sa stratégie de dédiabolisation a fonctionné au point de lui rapporter 2 ou 3 % de voix supplémentaires. Enfin, en revenant à la fin de la campagne sur les fondamentaux, que sont l’insécurité et l’immigration, auxquels il faut ajouter les dérapages contrôlés de son père qui ont rassuré l’aile dure du FN, elle a semble-t-il réussi à mobiliser une petite frange d’abstentionnistes.
F24 : En ce qui concerne le deuxième tour de l’élection, peut-on prévoir le comportement de ses électeurs ? Marine Le Pen espère-t-elle une défaite de Nicolas Sarkozy ?
S.C : Marine Le Pen devrait donner des consignes d’abstention, mais reste à savoir si elle sera suivie par la majorité de ses électeurs. Près de 50 % d’entre eux, qui se considèrent de droite avant tout, auront tendance à voter en faveur de Nicolas Sarkozy pour éviter un quinquennat socialiste. Mais quelques-uns se prononceront pour François Hollande, afin de sanctionner le président sortant. Marine Le Pen a intérêt à voir Nicolas Sarkozy battu, car elle veut se présenter comme l’opposante numéro un des socialistes et créer la zizanie dans les rangs de l’UMP, même si ce parti est une machine de guerre difficile à déstabiliser. Son objectif est de faire imploser la droite française afin de la recomposer autour d’elle et des idées du FN. Pour atteindre ce but, son principal défi est d’abord de confirmer son score de la présidentielle lors des législatives. Même si le mode de scrutin ne lui est pas favorable, le FN sera alors en mesure de se maintenir partout au deuxième tour et de remporter cinq ou six sièges de députés (et de marquer son retour au sein de l’Assemblée nationale, NDLR). Elle peut dans ce cas devenir une redoutable machine à perdre pour l’UMP. Mais, un tel scénario n’est envisageable qu’en cas de défaite du président sortant au deuxième tour de la présidentielle. Dans le cas contraire, Nicolas Sarkozy pourra se targuer de gagner sans le FN et briser l’élan de Marine Le Pen.