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Le scrutin face au défi des nouvelles technologies

À trois jours du premier tour, le procureur de Paris est monté au créneau pour rappeler les sanctions auxquelles s'exposent les internautes qui envisagent de se soustraire à la loi en publiant des résultats du scrutin avant 20 h dimanche.

Peut-on museler les médias pendant deux heures un jour de résultat d’élection présidentielle ? La question peut paraître absurde. Pourtant, la loi française ne dit pas autre chose. Publier des éléments du résultat avant 20 h un dimanche d'élection est interdit par la loi du 19 juillet 1977 et expose le contrevenant à une amende de 75 000 euros.

Si elle était cohérente et facilement applicable dans les années 1970, à l’heure d’Internet, cette interdiction semble devenue bien irréaliste. La pratique du journalisme sur le Web, média instantané sans frontières, et l’émergence des réseaux sociaux brouillent la donne et posent la question de façon plus aiguë encore. Non soumis à la législation française, plusieurs médias belges et suisses ont, en effet, d'ores et déjà affirmé qu'ils publieraient les résultats à partir de 18 h, comme ils ont l’habitude de le faire.

Et que dire des milliers de comptes Twitter et Facebook qui relaieront en temps réel les premiers résultats ? L’interdiction paraît à ce point absurde que certains titres de presse évoquent d'ailleurs la possibilité de communiquer les résultats du scrutin avant 20 h, à l’instar de Libération, sur sa une du mercredi 18 avril. Devant toutes ces provocations, le parquet n’a pas tardé à réagir, menaçant de poursuites tout organe de presse qui braverait la loi. Petit tour d'horizon des questions soulevées par cette nouvelle donne.

1- Un problème vieux comme le Web

Le problème ne date pas d’hier : le phénomène s'était déjà présenté lors des élections présidentielle et législatives de 2007. Des blogueurs avaient annoncé, à l'époque, leur intention de livrer les résultats avant 20 h, ce qu’ils n’avaient finalement pas fait. Quant aux sites internet des médias internationaux, l’affluence était telle qu’il était impossible de s'y connecter. Personne ne s’était donc réellement exposé aux poursuites prévues par la loi. Mais en 2012, la donne a changé.

2- Quelles sont les conséquences sur le scrutin ?

Difficile de prévoir les conséquences qu'aurait une annonce anticipée des résultats du premier tour. Les candidats eux-mêmes ne sont pas d’accord sur le sujet. Le président sortant ne semble pas gêné par cette infraction à la loi. "Non franchement, ça ne me choque pas, parce que, vous savez, le monde est devenu un village", a déclaré Nicolas Sarkozy sur la radio Europe 1, revenant sur l’archaïsme de la loi. "Ne recréons pas une ligne Maginot. Nous avons des règles qui, parfois, sont datées. Tout le monde le sait (...), c'est une forme d'hypocrisie", a-t-il estimé. "On ne va quand même pas faire une frontière numérique entre la France et tous les autres pays du monde pour interdire les autres de communiquer avec la France !" Avant d’ajouter que le phénomène "existe déjà" pour certains électeurs d'outre-mer, "qui sont encore en train de voter alors qu'on a annoncé les résultats" en métropole.

La candidate d'Europe-Écologie Les Verts, Eva Joly, n’entend pas les choses de cette oreille. Publier les résultats avant 20 h serait tout simplement synonyme de "rupture de l'égalité", selon elle. "Cela peut influencer le vote", ce serait "une rupture de l'égalité" qui pourrait "avoir une influence indue", sachant que "15 % [des électeurs] se déterminent dans le bureau de vote", a expliqué l'ex-magistrate. François Hollande se rallie à la candidate écologiste, rappelant que la loi doit être respectée sous peine d’influencer le scrutin. Le candidat socialiste a même demandé d'"être sévère à l'égard de ceux qui publieraient avant l'heure des informations qui pourraient non pas fausser le scrutin (...) mais rendre presque inutile le vote", a-t-il déclaré, avant d'ajouter : "Ça ne modifiera pas un résultat, mais ça peut affaiblir la participation. C'est dommage parce qu'au-delà de savoir qui va gagner, c'est important qu'il y ait une légitimité très forte, avec une participation la plus élevée possible".

3- Une influence à relativiser

La mesure ne concerne que les bureaux de vote des grandes villes, qui ferment leurs portes entre 19 h et 20 h, soit environ 40 % de l’électorat. La participation après 18 h et 19 h reste faible et ne représente que 10 % à 13 % des électeurs (soit entre 1 million et 1,5 million de personnes). En outre, pour que la divulgation des résultats du vote ait un impact éventuel, cela suppose aussi que ces mêmes électeurs aient pris la peine de s’en informer, ce qui reste toutefois possible avec l’arrivée massive des smartphones sur le marché.

4- Existe-t-il des solutions pour mettre un terme à la polémique ?

Il suffirait tout simplement de fermer tous les bureaux de vote à la même heure. Reste que cela ne résoudrait pas le problème d'une menace susceptible de rendre caduque l’élection, car les instituts de sondage communiquent leurs premières estimations à 18h45 à quelques responsables de médias, notamment ceux de l'audiovisuel associés à ces instituts pour les soirées électorales. Le risque de fuite est donc toujours présent et la Commission des sondages comme la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale - autorités chargées de la surveillance de la campagne présidentielle - ne semblent pas prêtes à prendre l’affaire à la légère. Un dispositif de veille internet sera en effet mis en place pour repérer d'éventuelles infractions à l'interdiction de publier les résultats du scrutin avant 20 h dimanche. Une équipe composée d’une dizaine de personnes assurera la surveillance des réseaux sociaux et du Web à l’aide d’un système de mots-clés pour déjouer d’éventuelles infractions. Bien décidées à faire respecter la loi, les autorités tiendront d’ailleurs ce vendredi une conférence de presse pour rappeler les règles élémentaires du vote français aux journalistes.

La question de la médiatisation des résultats n’est donc pas anodine. Le droit français prévoit l’annulation du scrutin si l’on estime qu’il y a une altération de la sincérité du vote. Dans le cadre d’une élection d’une telle importance, le scénario de la nullité du scrutin est difficilement envisageable. La chose est purement théorique mais, en cas de résultats au coude à coude, certains candidats pourraient invoquer la non-conformité du vote. Une réforme de la loi est donc à prendre au sérieux par le prochain président.

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Un climat pré-révolutionnaire ?
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