Le président-candidat a proposé, dans son discours de Villepinte, d’instaurer un "Buy European Act" inspiré du "Buy American Act" américain de 1933. Une mesure qui risque toutefois de ne pas être adaptée à la situation européenne.
Lors de son grand raout de Villepinte, dimanche 11 mars, le président-candidat Nicolas Sarkozy n’a pas eu que les accords de Schengen à la bouche. Il a également pris des accents “rooseveltien” pour défendre une certaine idée du “patriotisme”, ou “protectionnisme”, européen.
Nicolas Sarkozy a, en effet, soutenu la mise en place d’un “Buy European Act”, une mesure qui s’inspire directement du "Buy American Act" mis en place en 1933 par le président américain Franklin Delano Roosevelt. En fait, le candidat de l’UMP à la présidentielle française a pensé sa proposition comme un décalque de ce que le père du New Deal a fait aux États-Unis.
En 1933, alors que les États-Unis entrevoyaient le bout du tunnel de la crise de 1929, le président démocrate décidait de mettre en place un programme fédéral destiné à soutenir l’emploi "made in USA". Le “Buy American Act” obligeait le gouvernement américain à faire ses courses auprès d’entreprises installées sur le sol américain et employant des salariés locaux. Une obligation qui ne comportait que quelques exceptions, comme la sauvegarde de l’intérêt national ou des prix “déraisonnables” face à la concurrence étrangère.
Le texte de 1933 est toujours en vigueur en 2012. Il a certes été amendé quatre fois en 80 ans, mais uniquement à la marge. Aujourd'hui encore, tous les organes de l’État fédéral américain doivent privilégier les entreprises installées aux États-Unis dans l’attribution des marchés publics. Une législation qui, à l’heure de la mondialisation, ne va pas sans poser des problèmes quant à l’origine des produits et à la nationalité des entreprises auxquelles le gouvernement doit passer commande. Pour les matériaux bruts, tels que le bois ou les produits agricoles, la règle est simple : ils doivent provenir du sol américain. Pour les produits dérivés ou manufacturés, la loi précise que “50 % au moins des matériaux utilisés doivent être d’origine américaine”.
En revanche, la nationalité de l’entreprise importe peu. Ainsi, le gouvernement américain peut très bien privilégier un groupe étranger à une société américaine si l’usine de production est sur le sol américain.
Séduisant mais inéfficace ?
Si cette forme de protectionnisme peut paraître séduisante alors que le chômage en Europe grimpe en flèche depuis la crise de 2008, la transposition en Europe du “Buy American Act” est compliquée et peu efficace, affirment plusieurs économistes.
“Au regard des normes internationales, la légalité d’une telle mesure est aujourd’hui discutable”, explique ainsi à FRANCE 24 Jean-Marc Siroën, professeur d’économie à l'université Paris Dauphine. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) ne règlemente pas la question de l’attribution des marchés publics et n’interdit donc pas ce type de mesures. Mais un accord multilatéral, qui s'applique notamment à la France et aux autres pays de l'Union européenne, empêche aux 41 pays qui l'ont signé sous l’égide de l’OMC en 1994 la mise en place de règles protectionnistes entre eux.
Déjà discutable légalement, cette mesure n’est pas non plus d’une efficacité économique évidente. “S’il s’agit de l’attribution de marchés publics par les instances de l'Union européenne, l’impact sur l'emploi sera très faible car ces organismes n'en attribuent que très peu”, analyse Erik van der Marel, spécialiste du commerce international à la London School of Economics, joint par FRANCE 24.
Si, en revanche, tous les États membres de l’Union européenne l’appliquent individuellement, le "Buy European Act" pourrait même, alors, être contre-productif. Tout est une question de contexte : “Il s'agit d'une mesure qui ne peut être utile que dans le cadre d’un plan de relance, lorsque l’État est prêt à dépenser plus pour soutenir ses entreprises nationales”, poursuit Erik van der Marel. Selon cette proposition, les gouvernements sont, en effet, obligés d’appliquer cette préférence économique nationale même si le prix à payer est plus élevé que s’il passait commande auprès d’entreprises extra-communautaires. Ce “Buy European Act” pourrait donc conduire à creuser les déficits des pays européens, “ce qui n’est pas dans l’air du temps actuellement en Europe avec la crise des dettes souveraines”, prévient Jean-Marc Siroën.