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Ayant obtenu l’immunité après des mois de violente répression au Yémen, le président Ali Abdallah Saleh est parti vers les États-Unis pour y être soigné. Mais cet hôte embarrasse Washington qui l'accueille sans enthousiasme.

Après un mois d’attente, le président yéménite Ali Abdallah Saleh a obtenu un visa pour les États-Unis. Grièvement blessé dans un attentat en juin dernier à Sanaa, il doit y recevoir de nouveaux soins médicaux. Au cours d’un discours aux allures d’adieux dimanche 22 janvier, l’ancien homme fort du Yémen a affirmé qu’il rentrerait à Sanaa à l’issue de sa convalescence "en tant que président du Congrès général du peuple", son parti. De son côté, Washington a également insisté sur le fait  qu'il ne s’agissait pas d’un asile politique. Le président Saleh séjournera sur le territoire américain pour "une durée limitée à la durée de son traitement".

Visiblement, Washington ne lui a accordé le visa que du bout des lèvres, embarrassé par cet hôte à l’origine d’une répression particulièrement violente contre les manifestants yéménites réclamant la fin du régime. L’administration américaine a pourtant longtemps été clémente à l’égard de Saleh. Considéré comme l’homme de main des États-Unis, de l’Arabie saoudite et de ses alliés du Golfe contre Al-Qaïda dans la région, Saleh est ainsi parvenu à négocier, avec les accords de Riyad en novembre dernier, des conditions de départ du pouvoir particulièrement favorables. 

Conformément à cet accord, arraché à l’opposition yéménite sous la houlette des pays du Golfe, des États-Unis et de l’Europe, le président yéménite a notamment obtenu du Parlement samedi le vote d’une loi assurant son immunité et celle de ses proches pour tous les actes commis au cours de son mandat. La loi a provoqué la colère des Yéménites qui sont descendus par milliers dans les rues de la capitale. "Saleh a réussi à bénéficier de gages exceptionnels, qu’aucun des dirigeants déchus pendant le printemps arabe n’a obtenus, rappelle Karim Sader, politologue indépendant spécialiste des pays du Golfe. Je pense notamment à Hosni Moubarak, allié de longue date des Américains dans la région, qui a pourtant été lâché par Washington en une nuit. Ni lui ni Ben Ali n’ont échappé à la justice de leur pays".
Un sort clément pour Saleh

Saleh devrait donc éviter, contrairement à ses anciens homologues égyptien et tunisien, d’avoir à répondre de centaines de morts, tués par les forces de l’ordre dans les manifestations contre le pouvoir au cours de ces dix derniers mois. Il a également acquis le droit de conserver le titre de président honorifique tout en transférant ses pouvoirs à compter du 21 février à son vice-président, Abdo Rabbo Mansour Hadi, qui lui est très favorable. En résumé, l’autocrate s’éloigne mais son régime perdure.

D'autant que pour l'analyste yéménite Ali Seïf Hassen, interrogé par l’AFP, s'il s'est aménagé une "sortie honorable", l'avenir politique de Saleh au Yémen n’est pas enterré. Selon le politologue, le fait qu’il ait ouvertement demandé aux Yéménites de pardonner ses "éventuelles erreurs" lors de son dicours  et qu’il ait annoncé son retour en tant que président de son propre parti est le signe qu'il n’a pas renoncé à toute ambition politique dans son pays. "C'est la fin d'Ali Abdallah Saleh en tant que président de la République, affirme Ali Seïf Hassen. Mais son rôle politique dépendra de la suite des événements, notamment des erreurs de ses adversaires". 
 
Pourquoi lui accorder une telle opportunité ? Selon Karim Sader, Saleh a toujours – et avec succès – joué la carte de la peur avec sa voisine, l’Arabie saoudite, et les États-Unis, en faisant planer la menace d’une déstabilisation du pays en cas de vacance du pouvoir, avec un réveil des minorités chiites dans le nord du pays, et un accroissement des activités d’Al-Qaïda. Des scénarii que redoutent particulièrement les pays du Golfe, soucieux de préserver un certain calme dans la région. "Saleh est allé jusqu’à entretenir la menace de chaos en ‘donnant’ des villes du Sud à Al-Qaïda, affirme Karim Sader. Son objectif est de faire passer le message : ‘je suis irremplaçable, après moi, le déluge’".
 
Les États-Unis ne sont pas dupes. Mais sous la pression de l’Arabie saoudite et des pays du Golfe, pour qui le président yéménite représente également un rempart contre l’Iran – selon certains spécialistes, Téhéran exerce un contrôle sur les groupes indépendantistes chiites dans le nord du pays –, Washington s’est plié et a accordé une sortie honorable à Saleh. "Le Yémen est un pays stratégique pour les États-Unis parce qu’il l’est pour l’Arabie saoudite et ses alliés, poursuit Karim Sader. L’éventualité d’une déstabilisation du Yémen est, pour tous ces pays, la ligne rouge à ne pas franchir. Pourtant, ce qui va se passer à l'avenir est assez incertain. Il n’est pas exclu que, en l’absence de Saleh, il se produise un coup d’État au Yémen. Les Américains n’encourageraient pas forcément un tel scénario mais si un nouvel homme fort émerge, il pourrait bien être avalisé par Washington. Cela serait la manière la plus évidente d’éviter un éclatement du Yémen".