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La réconciliation nationale à l'épreuve du transfert de Gbagbo à La Haye

L'ex-président ivoirien a été remis à la CPI dans la nuit de mardi à mercredi. Si, pour les uns, son transfert est une "bonne nouvelle", il constitue, aux yeux de certains spécialistes, une menace pour la stabilité politique de la Côte d'Ivoire.

Près de huit mois après sa capture par les Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI), Laurent Gbagbo est arrivé dans la nuit du 29 au 30 novembre à bord d’un avion affrété par les autorités ivoiriennes sur le tarmac de l’aéroport de Rotterdam (Pays-Bas). Le président déchu a pris la direction de la prison de Scheveningen, dans les faubourgs de La Haye, quelques heures seulement après que le procureur général de la Côte d'Ivoire lui eut notifié le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI).

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Depuis les geôles de La Haye, l’ancien homme fort d’Abidjan s’attellera désormais à préparer sa défense pour répondre aux accusations de crimes contre l’humanité dont il fait l’objet. À savoir, selon les termes de la CPI, "meurtres, viols et autres formes de violences sexuelles, persécutions et autres actes inhumains", qui auraient été commis sur le territoire ivoirien du 16 décembre 2010 au 12 avril 2011, période durant laquelle les fidèles d'Alassane Ouattara ont combattu les partisans du chef de l'État sortant qui refusait de céder le pouvoir après la présidentielle de novembre 2010.

Un transfert qui met le feu aux poudres ?

Si la nouvelle a de quoi réjouir les nouvelles autorités ivoiriennes, qui ne cachaient pas leur impatience de voir Laurent Gbagbo remis à la CPI, le transfèrement du président déchu, considéré, aujourd'hui encore, comme un homme politique influent, ne laisse d'inquiéter.

Du côté des partisans du leader du Front populaire ivoirien (FPI), cette extradition est vécue comme une mise à mort politique. "Les sympathisants de Laurent Gbagbo se disent dévastés, rapporte Maureen Grisot, la correspondante de FRANCE 24 à Abidjan. Pour le moment, ils digèrent la nouvelle." Pour combien de temps ? Son transfèrement "risque d’attiser encore les tensions existantes dans le pays", s’inquiète de son côté Me Lucie Bourthoumieux, l’une des avocates de Laurent Gbagbo.

"Plus de mal que de bien"

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"Le président déchu compte encore beaucoup de partisans", explique pour sa part Pierre Jacquemot, spécialiste de l’Afrique associé à l’Institution des relations internationales et stratégiques (Iris). À moins de deux semaines des élections législatives du 11 décembre, ce nouvel épisode judiciaire n'augure rien de bon pour nombre d'observateurs. "Les plaies du pays sont toujours ouvertes. Pour ne rien arranger les procédures de la CPI sont extrêmement longues. Le jugement de Laurent Gbagbo pourrait faire plus de mal que de bien. Il pourrait sérieusement menacer la stabilité politique intérieure du pays", poursuit le spécialiste.

Un avis partagé par Philippe Hugon, spécialiste de la Côte d’Ivoire à l'Iris. Selon lui, remettre le président déchu à la justice internationale risque fort de compromettre le processus de réconciliation prôné par l'actuel président. "La CPI est intervenue à la demande d'Alassane Ouattara. Or le camp de ce dernier a, lui aussi, sûrement joué un rôle dans les crimes commis durant la crise post-électorale", explique-t-il. "Il faut reconnaître que pour le moment le traitement judiciaire [à l’égard de Laurent Gbagbo et d’Alassane Ouattara] est déséquilibré."

"Le jouet des puissances occidentales"

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La réconciliation nationale à l'épreuve du transfert de Gbagbo à La Haye

L’extradition de Laurent Gbagbo est pourtant un moindre mal, nuance Sylvain Attal, spécialiste de politique internationale à FRANCE 24. "Le ‘dossier Gbagbo' est encore très frais et très sensible, explique-t-il. Alassane Ouattara a sans doute considéré que les conditions d’une justice sereine n’étaient pas réunies en Côte d’Ivoire." À l'en croire, juger l'ancien chef de l'État ivoirien à La Haye serait donc le gage d’un procès équitable et indépendant.

L'argument selon lequel la Côté d'Ivoire n'est pas en mesure de juger Laurent Gbagbo passe mal auprès de nombreux Ivoiriens. "De manière générale, les Africains ont le sentiment d’être stigmatisés par les institutions internationales", ajoute Pierre Jacquemot. "Dans le cas ivoirien, ce transfert ne va pas arranger les choses. Les gens se sentent frustrés. Ils considèrent qu’ils ne sont pas les maîtres de leur propre destin démocratique mais le jouet des puissances occidentales."