À l'occasion de sa première visite officielle en France, le président Paul Kagame s'est attaché à vanter le rôle déterminant de l'Afrique "dans le nouvel ordre mondial". Sans parvenir à convaincre les organisations de défense des droits de l'Homme.
Juste avant de rejoindre son homologue français Nicolas Sarkozy pour un déjeuner à l’Élysée, le président rwandais, Paul Kagame, en visite officielle à Paris, a animé ce lundi, à l’Institut français des relations internationales (Ifri) une conférence sur le "rôle de l’Afrique dans une configuration mondiale en mutation".
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Fort de ses bons résultats en matière d'économie, mais omettant opportunément un bilan social moins brillant – plus de la moitié des Rwandais vivent avec moins de 0,50 dollar par jour –, Paul Kagame s’est employé à promouvoir une Afrique "déterminante dans le nouvel ordre mondial". "Ces dix dernières années, les États africains ont su dégager des opportunités pour jouer un rôle plus important dans le monde", a-t-il estimé lors de son intervention.
Économie brillante
Érigé au rang de locomotive économique de la région des Grands Lacs, le Rwanda et ses 11% de croissance en 2008 (6% de croissance en moyenne ces 12 dernières années) s’est remarquablement relevé de l’année noire du génocide, en 1994, qui l'avait plongé dans le chaos politique et le marasme économique.
Lancées en 2001, ses multiples réformes facilitant les investissements et les créations d’entreprises ont été saluées par la Banque mondiale, qui, en 2010, plaçait le Pays des mille collines dans le peloton de tête de son classement "Doing Business". Aussi au Rwanda est-il désormais possible de créer une entreprise en 24 heures, le délai le plus court du monde.
Cerise sur le gâteau, le petit État d'Afrique centrale serait le pays le moins corrompu du continent, selon un classement établi en 2010 par l’organisation non gouvernementale de lutte contre la corruption Transparency International.
"Les peuples doivent avoir un rôle dans la gouvernance des pays"
"En Afrique aussi un nouvel ordre prend forme, a poursuivi le président rwandais, devant une salle comble. Le printemps arabe a montré que les peuples demandent une plus grande liberté. Les nouvelles technologies créent une nouvelle dynamique de changement, un échange plus rapide d’idées. Les gouvernements africains doivent être responsables des besoins de leur peuple, et les peuples doivent avoir un rôle dans la gouvernance de leur pays. Les initiatives ne seront efficaces que si elles sont prises et réalisées par les peuples eux-mêmes."
Dans la salle, quelques sourires ironiques sont échangés, des murmures viennent troubler le silence respectueux qui régnait jusqu’alors. Ces belles paroles collent assez mal avec les dérives autoritaires dont Paul Kagame est accusé par ses opposants et plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme.
Invitées à prendre part à la conférence, des représentants de Reporters sans frontières (RSF) et de Human Rights Watch (HRW) ont interpellé le chef de l’État rwandais sur la question des droits de l’Homme dans son pays. "Je ne comprends pas de quoi vous voulez parler", a rétorqué le président rwandais, visiblement agacé. Avant de poursuivre, cinglant : "Vous faites partie des gens qui ne voient que le mal en Afrique. Ce n’est pas à vous que je dois rendre des comptes. Ce genre d’attitude est un manque de respect envers les Africains. Ce n’est pas à vous de dire ‘l’Afrique a besoin de ci ou ça’. […] Nous allons continuer à faire ce qu’il y a de mieux pour notre peuple."
Dérives autoritaires
L'année dernière, les deux organisations ont multiplié les rapports dénonçant des atteintes aux droits de l’Homme au cours de la présidentielle rwandaise. Kagame avait remporté l’élection avec le score soviétique de 93,8 % des voix. Tout au long de la campagne, une ambiance délétère a régné dans le pays. Opposition réduite au silence, presse indépendante muselée, étranges disparitions et arrestations sommaires… Finalement, seuls trois candidats, tout acquis à la cause de l'homme fort de Kigali, avaient pu se lancer dans la course.
Depuis, les ONG de défense des droits de l’Homme n’ont eu de cesse de dénoncer les dérives du régime. Dans un rapport très critique publié au début de 2011, HRW fait état de "nombreuses violations des droits civils et politiques" et fustige le gouvernement rwandais pour avoir "manqué son engagement déclaré envers la démocratie".
Après de multiples – et vaines – mises en gardes, RSF est monté au créneau en juin 2010 au lendemain du meurtre du journaliste Jean-Léonard Rugambage, qui venait de publier dans un magazine indépendant un article sur l’assassinat manqué d’un opposant rwandais réfugié en Afrique du Sud.
Ces jours-ci, RSF a publié un rapport accablant sur la liberté de la presse dans le pays : "Bien que le gouvernement s’en défende, la presse indépendante rwandaise est soumise à de fortes pressions venues du sommet de l’État. Le président de la République, Paul Kagame, figure depuis plusieurs années dans la liste des 'prédateurs' de la liberté de la presse dénoncés par Reporters sans frontières".