Deux ONG internationales dénoncent des "frappes aériennes à l'aveugle" sur des civils au Sud-Kordofan. Khartoum, qui est pointé du doigt, accuse de son côté le Soudan du Sud de soutenir les rebelles de cette région frontalière entre les deux pays.
Alors qu’Amnesty international et Human Rights Watch ont fait état mardi de "bombardements sans distinction des zones peuplées de civils" par les forces armées soudanaises dans la région du Kordofan, Khartoum accuse son nouveau voisin, le Soudan du Sud, de "provoquer des troubles et de soutenir la rébellion".
Après la récente indépendance du Soudan du Sud, l’État de Kordofan est resté rattaché à l’administration de Khartoum. Et ce bien que la région soit peuplée par la communauté Noubas, très attachée au Mouvement populaire de libération du Soudan (MPLS), au pouvoir à Juba, capitale du nouvel État du Soudan du Sud.
"Des bombes tombent sur des habitations de civils"
Et depuis début juin, les combats ont éclaté de nouveau à Kadugli et Um Durein (au Sud-Kordofan) entre les forces loyalistes soudanaises et l’APLS (armée populaire de libération du Soudan), mouvement rebelle proche des nouvelles autorités du Soudan du Sud. Le conflit s’est déclenché suite à la réélection controversée au poste de gouverneur du Kordofan méridional d’Ahmed Haroun, inculpé par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre au Darfour.
Pour venir à bout de la rébellion, le gouvernement soudanais aurait recours aux grands moyens. "Khartoum effectue des bombardements sur les montagnes de Nuba", raconte Donatella Rovera d’Amnesty international, qui revient d’une mission d’enquête dans cette partie du territoire soudanais. "Le gouvernement soudanais est littéralement en train de commettre des meurtres en toute impunité et essaie d’empêcher le monde extérieur de s’en rendre compte."
Jointe à Juba par FRANCE 24, la chercheuse décrit "la situation catastrophique" dans les villages du Kordofan. "Des bombes tombent sur des habitations de civils. Ceux-ci sont contraints de vivre à la belle étoile ou, avec un peu de chance, dans des écoles et des communautés d’accueil". Et de renchérir : "Les déplacés ne sont pas assistés - pas de soins médicaux, pas de nourriture -, car le gouvernement soudanais interdit l’accès de ces zones à toutes les agences humanitaires internationales, même celles des Nations unies."
Les chercheurs d’Amnesty international et d’Human Rights Watch mentionnent dans un rapport publié mardi qu’ils ont vu "des avions du gouvernement soudanais voler en cercles au-dessus de zones habitées par les civils et les bombarder, obligeant ainsi les habitants à se réfugier dans les montagnes et dans des grottes".
Depuis le début de ces bombardements, au moins 26 personnes sont mortes et 45 autres ont été blessées, rapportent les deux ONG. Elles craignent que la situation ne s’aggrave si la communauté internationale ne fait rien.
"Une guerre qui n’intéresse personne"
Ironie du sort, le gouvernement soudanais a déposé jeudi une plainte auprès du Conseil de sécurité contre le Soudan du Sud, accusant son voisin d’être responsable des bombardements qui ont lieu au Kordofan. Le département d'État américain s’est dit "également préoccupé par des allégations de soutien du gouvernement du Soudan du Sud" aux rebelles du Kordofan, dans un communiqué publié mercredi.
Aux Nations unies, le sujet semble tabou. "On n’en parle même pas. Comment une décision serait-elle prise ?", s’interroge Donatella Rovera. La chercheuse d’Amnesty international appelle la communauté internationale à prendre ses responsabilités. "La communauté internationale, et plus particulièrement le Conseil de sécurité, doit cesser de détourner le regard et doit agir pour mettre fin à cette situation."
Marc Lavergne, ancien directeur du Centre d'études et de documentation économiques, juridiques et sociales (Égypte/Soudan), explique, lui, cette inertie de l’organisation mondiale par "l’absence d’intérêt des États". Contacté par FRANCE 24, le spécialiste soutient que "le conflit au Kordofan perdure depuis une vingtaine d’années et n'intéresse personne".
D’autant que deux membres permanents du Conseil de sécurité ont souvent préféré éviter les discussions sur le sujet. "La Russie et la Chine ne permettront pas aux autres puissances de continuer à s’immiscer dans les affaires intérieures du Soudan - le pétrole soudanais coule encore pour tout le monde et chacun en tire partie", conclut-il. Le Kordofan devra donc attendre.