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Le procès de Fayez Karam, jugé pour espionnage au profit d'Israël, reporté

Le procès de l’ex-général libanais Fayez Karam a été reporté au 30 août. Ancien cadre du Courant patriotique libre et proche de Michel Aoun, il est accusé d’être entré en contact avec des agents israéliens.

Il y a un an encore, l’ancien général libanais Fayez Karam était un homme au-dessus de tout soupçon : cadre éminent du Courant patriotique libre (CPL), ancienne figure de la lutte contre l’occupation syrienne, il était l’un des compagnons de route du général Michel Aoun, poids lourd de la vie politique libanaise. Mais le 4 août 2010, l’histoire de ce militaire respecté bascule. Arrêté, il est inculpé pour avoir communiqué avec des agents du renseignement israélien - le Liban est officiellement en état de guerre avec Israël, malgré un cessez-le-feu signé en 1949. L'ex-général est accusé d'avoir espionné des membres du Hezbollah ainsi que l'armée libanaise au profit du Mossad, services secrets israéliens. Une onde de choc traverse alors le pays. Son écho est encore perceptible, alors que les avocats de l'ancien général devaient plaider ce jeudi au Tribunal militaire permanent à Beyrouth, avant que le procès ne soit reporté au 30 août. 

Lors de l’arrestation de Fayez Karam l’an dernier, les membres du CPL, et de son allié chiite, le Hezbollah d’Hassan Nasrallah, tombent de haut. En leur sein, personne n’aurait pu deviner que ce sexagénaire décrit comme un homme affable, souriant, honnête et droit, pouvait être suspecté d’intelligence avec l’ennemi de toujours. La surprise est d’autant plus grande que l’ancien militaire avoue rapidement des liens avec les services de renseignement israéliens... avant de se rétracter, quelques mois plus tard. Les trois avocats de Fayez Karam affirment aujourd’hui que ses aveux lui ont été arrachés sous la menace de représailles contre sa famille. 

"Pour l’instant, on ne sait pas ce dont Fayez Karam est coupable, affirme Elie Masboungi, correspondant à Paris du quotidien francophone libanais L’Orient le Jour. On lui reproche d’avoir collaboré avec les renseignements israéliens mais on ne sait pas précisément quelles sont les conclusions de l’enquête et sur quels éléments s’appuie l’accusation". À 63 ans, l’ancien militaire à la santé vacillante – il a subi plusieurs pontages coronariens - encourt, s’il est reconnu coupable, une peine de prison à vie assortie de travaux forcés, ou bien la peine capitale si les juges estiment que les informations qu’il a divulguées à Israël ont pu causer la mort.

"Un officier exemplaire" 

Issu d’une grande famille de militaires maronites de la région montagneuse de Zghorta, dans le nord du Liban, Fayez Karam intègre l’École de guerre libanaise en 1969 pour en sortir lieutenant trois ans plus tard. À cette époque, le Liban est sous haute tension. Différentes factions s’affrontent au pays du Cèdre, à tel point que la situation dégénère en guerre civile en 1975. En 1976, la Syrie envoie ses troupes sur le territoire libanais pour – officiellement - rétablir l’ordre. Dans l’armée libanaise, le lieutenant Karam sert alors sous les ordres de celui qui deviendra son mentor : le général Michel Aoun. Les deux hommes s’entendent bien et s’estiment mutuellement. "Au cours de ses années de service, Karam s’est forgé une réputation d’officier exemplaire", assure le journaliste Elie Masboungi, qui a rencontré plusieurs fois les deux hommes. 

Sa réputation – et son allégeance à Michel Aoun, nommé président du Conseil en septembre 1988 – le conduisent, à la fin des années 1980, à la tête du service de contre-terrorisme et d’espionnage. "Il est resté fidèle au général Aoun quand celui-ci a été nommé par le président sortant Amine Gemayel, explique Elie Masboungi. Sa mission était de diriger le commando de l’armée, les soldats les plus coriaces du pays. Il était chargé de défendre cette sorte d’enclave chrétienne libanaise qui s’étendait du Mont Liban jusqu’aux limites nord du pays et comprenait la moitié est de Beyrouth, alors que la Syrie contrôlait le reste du pays".

Quand, en 1990, l’ensemble du pays passe sous tutelle syrienne, le général Aoun s’exile en France où il obtient le statut de réfugié politique. Au Liban, des dizaines d’officiers sont arrêtés, transférés en Syrie et soumis à des interrogatoires musclés. Fayez Karam se trouve parmi eux. Il est libéré cinq mois après son arrestation. Suivant les traces de Michel Aoun, il décide de gagner la France… via Israël et des contacts qu’il avait au Sud-Liban, alors occupé par Tsahal. "Les accusations qui pèsent aujourd’hui sur Karam se fondent notamment sur ces contacts-là", estime Elie Masboungi. 

À Paris, Karam et Aoun restent proches 

Fayez Karam, sa femme et ses deux enfants s’installent à Paris. "En France, Karam ne faisait pas partie du cercle intime de Michel Aoun, mais ils se voyaient de temps en temps, poursuit Elie Masboungi. Karam, qui n’était pas très riche – il ne possédait qu’un lopin de terre dans les montagnes du nord Liban – a racheté une chaine de pressing. Il semblait plus préoccupé par la nécessité de subvenir aux besoins de sa famille que par la politique libanaise", poursuit le correspondant de L’Orient le Jour. Pourtant, lorsque Michel Aoun fonde le CPL en 1996, Fayez Karam en devient le porte-parole. 

En 2005, lorsque la Syrie se retire du Liban, les deux hommes montent dans le même avion pour regagner le Liban, après presque quinze années d’exil. Élie Masboungi était lui aussi dans l’appareil. "Michel Aoun a été ovationné par plusieurs dizaines de milliers de Libanais rassemblés sur la place des Martyrs, à Beyrouth", se souvient le journaliste. Le CPL devient officiellement un parti politique et remporte 15 sièges aux législatives de juin 2005. Fayez est élu député à Tripoli (nord). En 2006, le CPL s’allie au Hezbollah.

"C’est à partir de là que commence la lutte à mort entre le clan du 14-Mars et celui du 8-Mars, estime Elie Masboungi. Saad Hariri, figure de proue du mouvement du 14-Mars, a vu en Michel Aoun un rival".

  • 8-Mars: mouvement pro-syrien chapeauté par le Hezbollah et auquel appartient le CPL fondé le 8 mars 2005, en réaction à la révolution du Cèdre née de l’attentat contre Rafic Hariri.
  • 14-Mars: mouvement d’opposition à la mainmise syrienne sur le Liban né le 14 mars 2005, au lendemain de la mort de l’ex-Premier ministre Rafic Hariri dans un attentat.

Pour nombre d’observateurs, le procès qui s’ouvre ce jeudi au Liban n’est donc rien d’autre que la conséquence de cette rivalité politique. "Indéniablement, l’arrestation de Fayez Karam a été orchestrée médiatiquement pour nuire à Aoun. Savoir s’il est coupable ou non est une autre histoire", estime Elie Masboungi. Une analyse que partage Paul Khalife, le correspondant de RFI au Liban : pour lui, la thèse d’une "manipulation politique n’est pas à écarter" non plus. 

Contacté par France24.com, Farès Saeid, le secrétaire général du mouvement du 14-Mars, refuse quant à lui de prendre part à la polémique : "Pour nous, il s’agit d’une affaire sécuritaire. Nous laissons le soin à la justice libanaise de juger cette affaire", tranche celui-ci.