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"Il aurait fallu un grand emprunt puissance 10"

Pour l’économiste Henri Sterdyniak, le grand emprunt lancé fin 2009 par l'Élysée pour soutenir l'économie française n'est "pas assez ambitieux". Il faudrait mettre en place des dispositifs publics permanents pour répondre efficacement à la crise.

C’est à l’Élysée que Nicolas Sarkozy a décidé de dresser un premier tableau du grand emprunt de 35 milliards d’euros annoncé fin 2009, et lancé en 2010 pour doper les "investissements d’avenir" en France. La conférence de presse, organisée pour l'occasion par les services du chef de l'État, s'est transformée en exercice de promotion du bilan économique du quinquennat. À moins d’un an de l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy joue la carte de l'exercice du pouvoir alors que les primaires socialistes risquent de s’imposer sur le devant de la scène médiatique. 

Le président français a d'abord rappelé son credo économique et vanté les mérites de son action en faveur de l'industrie, de l'innovation et de l'emploi, précisant que "jamais [au cours de] son histoire, la France n’a[vait] fait un tel effort au service de l’investissement". Nicolas Sarkozy a annoncé qu’une vingtaine de milliards d'euros (sur les 35 milliards prévus à cet effet) du grand emprunt auront été engagés sur des projets précis "d’ici à la fin de l’année".

Pour Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE (l'Observatoire français des conjonctures économiques), l’impact du grand emprunt sur l’économie française sera limité.

FRANCE 24 : Est-il pertinent de considérer le grand emprunt comme une mesure phare, sur le plan économique, du quinquennat de Nicolas Sarkozy ?

Henri Sterdyniak : Malheureusement non. Cela aurait pu être une mesure phare s'il avait été appliqué à puissance 10. Les 35 milliards d’euros du grand emprunt sont des dépenses projetées, mais rien n’a encore été déboursé. Ils seront déboursés sur une période longue, ce qui ne représente au final sans doute que 5 milliards d’euros déboursés chaque année au cours des prochaines années. L’effet sera donc pratiquement nul. Il aurait fallu au moins 35 milliards par an pour que l’impact d’un grand emprunt soit visible.

En fait, ce grand emprunt n’est qu’une mesure parmi d’autres adoptées par Nicolas Sarkozy pour tenter de relancer la croissance. Certes, cela va contribuer à la relance, mais on ne peut pas dire qu’il s’agit là d’un grand axe du quinquennat. Pour cela, il aurait fallu faire plus, en créant notamment un dispositif permanent d’aide à l’innovation, ce qui n’est pas le cas.

Est-ce à dire que Nicolas Sarkozy n’a pas été assez ambitieux avec ce grand emprunt ?

H. S. : Nicolas Sarkozy est arrivé avec un programme libéral (le bouclier fiscal, les avantages fiscaux pour les riches, la baisse de la taxe professionnelle, etc.) mais il n’a pas mené cette politique avec intensité. En fait, il a hésité entre deux stratégies : le libéralisme tel qu'on l'entend couramment, qui caractérise le début de son mandat, et l’interventionnisme avec des aides aux petites et moyennes entreprises, à l’innovation, à la recherche. On peut dire que le président est tiraillé entre des conseillers qui se situent dans un registre libéral, et d'autres pour qui les financements publics doivent soutenir l'innovation. D’autant plus que le ministère de l’Économie et des Finances a tout fait pour lutter contre la tendance interventionniste.

Doit-on donc y voir un revirement dans la politique économique de Nicolas Sarkozy ?

H. S. : A mon sens, à dix mois de l'élection présidentielle, les mesures interventionnistes de ce grand emprunt rapprochent Nicolas Sarkozy de certains points du programme du Parti socialiste pour 2012. Les institutions mobilisées dans le cadre du grand emprunt pour soutenir l’innovation [comme les Établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) Oséo, ou l’Ademe, NDLR] permettent de faire office, dans le cadre de cet emprunt, de pôle public d’innovation. Le PS propose, de son côté, de créer une banque publique pour l’investissement.